LA BATAILLE DE LA PYRALE

La vallée de la Sorgues, le Saint-Affricain et la basse vallée du Tarn ont durement été touchés par la pyrale du buis. Faut-il craindre pour les buissières du Larzac ? Enquête à l’ombre de ces buissières patrimoniales.

Col de Tiergues, l’Izoard des coureurs de 100 bornes, prendre à droite direction St-Rome puis de suite à gauche, la route des dolmens. Surtout bien repérer la croix de Baldassé, encore 500 mètres, la D50 s’enfonce avec gaité dans un vallon dominé par un champ éolien. Curieusement, ça roule fort, les camions se succèdent dans un nuage de poussière, les virages et bas côtés rongés par les 10 tonnes transportant gravats et graviers.

Le hameau de Crassous se découvre rapidement, une ferme à gauche, de vieux engins agricoles et sur la droite, un ensemble de maisonnettes, quelques belles demeures, ça rénove, ça restaure, çà remonte de vieux murs, de belles cheminées. A deux pas de Saint-Affrique,  l’habitat local y est prisé.

Crassous est connu des vttistes et des randonneurs. Une longue buissière le traverse, ce tunnel végétal qu’il est bon d’emprunter lorsque le soleil tape au zénith sur ces rondeurs ne dépassant pas les 700 mètres d’altitude.

La buissière du Crassous appartient au patrimoine local. Longue ramification, vénérable arbre généalogique racontant la vie des temps anciens, l’époque pas si vieille, le berger, son chien et son troupeau cheminant dans ces longs cordons ombilicaux bordés de pierres et de buis ancestraux.

Comme une peinture murale attaquée par la vermine, ce couloir naturel a souffert, la pyrale du buis s’offrant un festin royal mais funeste pour la survie de ces sentiers classés au patrimoine caussenard.

Au  pays des Puechs, une constellation de mamelons, Majou, Lunas, Canié, Lebrou, poursuivons cette visite de terrain. Une traversée rapide de Saint-Affrique, c’est déjà la remontée sur le causse de Nissac dominant la vallée de la Sorgues. Hermelix, c’est le dernier hameau avant de basculer dans le ravin du Versolet. Une belle lavogne, une grosse exploitation agricole, là aussi quelques maisons paisibles pour retraités tranquilles. Ici, les chiens gueulent, la tondeuse ronfle et les tracteurs sont à la manœuvre.

Là aussi, la buissière s’est prise une attaque en règle, la pyrale en rafales pour un repas gargantuesque. Et là encore, comme au Crassous, les buis ont retrouvé de la vitalité même si les gros chardons et les ronces ont profité de cette liberté pour imposer leur loi pour faire sournoisement des misères aux mollets aventureux.

Joël Atché connait bien ces lieux. C’est Monsieur sentier au Parc Régional des Grands Causses. A pied, à cheval, à VTT, GPS en bandoulière, il repère, il contrôle, il expertise, il archive depuis deux décades le sud Aveyron pour la sauvegarde des sentiers et favoriser de facto leur découverte et en cascade développement des pratiques de pleine nature. En prise directe avec un réseau d’une rare densité et d’une richesse exceptionnelle, il n’y a pas un sentier qui n’ait pas obtenu son autorisation en vu d’un balisage. Pour la buissière de Crassous, il s’exprime clairement « on s’est fait déborder. Un traitement a été réalisé 4 à 5 fois mais c’était insuffisant car les chenilles revenaient des buis isolés, des haies proches de cette buissière. Elles traversaient la route en moins de 5 minutes et de nouveau, c’était crépi de chenilles ».

Pour celle de Hermelix, le combat fut tout aussi rude avec la participation des agriculteurs et des habitants qui ont traité pour sauver le sentier grimpant de Versols et Sayssou se terminant par 900 mètres de buissière sur le plateau « sur ce secteur, notamment près du transfo, le sentier a été très impacté. Je pense que nous avons pu éviter que l’écorce soit rongée. Et après deux années, on observe que cela repart du pied».

Aujourd’hui pour sauver une buissière seules des actions ciblées sont possibles, ce que confirme Laurent Danneville, directeur du pôle ressources au Parc Régional des Grands Causses «nous sommes en veille et nous restons vigilants comme nous le sommes pour toutes les espèces envahissantes exotiques telles que le moustique tigre et l’ambroisie. Un inventaire ainsi qu’une cartographie ont été réalisés et nous intervenons avec nos équipes de façons chirurgicales. On se doit de faire quelque chose pour les buissières historiques mais nous n’avons pas de solutions miracles».

Pour Grégory Philippe technicien au Centre National de la Propriété Forestière basé à Millau, le constat suit cette même ligne. La prudence est de mise, il avoue «de nature, je suis pessimiste car parfois on ne peut pas lutter. Lorsque l’on travaille en forêt, demain, c’est dans cinq ans. Nous n’avons pas la même échelle de temps. Il faut donc s’adapter au cycle de la nature et faire preuve de patience». Comme tous les spécialistes en observation, la main sur l’écorce, le regard sur la canopée, regroupant le CNPF, l’ONF, la DDT, la DRAAF, tous évaluant l’impact des espèces invasives telle que la pyrale arrivée de Chine dans des petits buis ornementaux, lui aussi a constaté une fragile reprise mais il se refuse à tout optimisme béat. Sa conclusion est sans appel « la pyrale peut très bien revenir et de nouveau s’attaquer aux jeunes pouces et à l’écorce. Si le buis subit une nouvelle attaque, il va très vite puiser dans ses réserves en minéraux qu’il n’aura peut être pas eu le temps de reconstituer provoquant un état d’épuisement».

Son champ d’investigation, sa forêt d’interprétation est vaste, elle va du sud Aveyron jusqu’au nord de l’Aubrac. Deux placettes sont sous surveillance pour déterminer avec précision le taux de mortalité des buis. Il cite un chiffre alarmiste «un taux supérieur à 80% en Ardèche »  un département qui a subi les assauts de la petite chenille verte bien avant l’Aveyron. Pour notre département, l’étude ayant débutée en 2019, 4 à 5 années seront nécessaires pour tirer des conclusions satisfaisantes.

Comme tous les spécialistes, il a pu observer sa progression dans les vallées, la Sorgue, le Tarn, le Cernon et leurs vallons secs adjacents comme ceux du Balats, Lavadous, de Fouzals et Vals s’étoilant telle une araignée géante au nord du village de Peyre. Aujourd’hui, et ce printemps encore, la pyrale a gagné du chemin, Verrières, Aguessac, Rivière sur Tarn, la vallée du Tarn comme autoroute de cheminement volatile pour la pyrale en liberté. Alors que faire lorsque l’on sait que les traitements, l’installation de nichoirs à mésanges et la pose de piège à phéromones sont très insuffisants pour créer un part feu efficace face à cette invasion ?

Pour Grégory Philippe, l’altitude n’est plus le critère de sécurité sur lequel on peut se reposer pour espérer une accalmie. Il apporte cet exemple « dans les Alpes, dans les Pyrénées, la pyrale se joue de l’altitude. Vers Lourdes, on la trouve au-delà des 1000 mètres».

Aujourd’hui, la pyrale du buis progresse dans les vallées pour leur côté humide. La «sécheresse» des causses pourrait être un critère bloquant, provoquant un frein, un ralentissement. Mais personne ne peut vraiment prédire si oui ou non, chenilles et papillons franchiront la barrière rocheuse pour se gaver grassement et ouvertement en plein causse. Grégory Philippe invite même à se préparer à voir évoluer les paysages locaux. Ces pépites végétales sur les causses Noir, Larzac, Méjean et Sauveterre sont-elles condamnées à disparaître ?

Texte et photographies réalisés le 4 juin 2020 à Hermelix, Crassous et Millau