Vladislav Nikolov, un air de Bulgarie à Millau

« Un endroit magique ». C’est ainsi que Barthelémy a présenté Millau, qu’il avait connu dans son enfance, à Vladislav Nikolov, son compagnon, pour l’inciter à s’y installer il y a cinq ans. Un choix que le couple n’a jamais regretté tellement tous les deux s’y sont sentis très bien accueillis. Vladislav Nikolov, ancien journaliste, a dupliqué en France l’engagement politique qu’il déploie en Bulgarie, son pays natal. Avec une volonté inébranlable, celle de défendre bec et ongles la démocratie, et le droit de vote qu’il vénère après avoir vécu dans une Bulgarie totalitaire.

Odile Baudrier : Vous êtes né en Bulgarie, vous avez été journaliste pour la BBC, RFI… Pouvez-vous nous détailler votre parcours de journaliste ?

Vladislav Nikolov : Alors, voilà un peu de préhistoire ! Je suis né en Bulgarie dans les années 70. J’ai voyagé dans mon enfance avec mes parents, on a passé du temps en Irak à Bagdad, puis à l’adolescence en Indonésie. Jeune adulte, j’ai commencé mes études en Union Soviétique, à Moscou. Mais je voulais absolument découvrir l’Occident, qui jusqu’à ce moment-là, avait été « imaginaire ». Je la recevais beaucoup par les sons, car j’écoutais les radios internationales. Je me créais mon monde à moi, qui n’était que virtuel. En 1989, le lendemain de la chute du mur de Berlin, un coup d’état « de palais » est arrivé en Bulgarie. J’ai su alors que je devais partir assez rapidement. Car je voulais finir mes études ailleurs qu’à Moscou, où j’étais arrivé par accident. Et la deuxième raison qui me guidait aussi est que je voulais vivre ma vie comme je l’entendais, et donc mon homosexualité librement. Je me suis retrouvé à Paris un peu par hasard. J’étais seulement anglophone, je devais partir dans une université américaine ou britannique. Quand je suis allé à l’ambassade américaine pour voir les possibilités, le catalogue était très gros et il s’est fermé sur la dernière page, sur l’Université Américaine de Paris. C’est là que j’ai atterri ! j’ai passé haut la main les examens d’entrée et du coup, j’ai été le premier d’Europe de l’Est dans cette Université, qui est assez internationale. Elle m’a aidé à plonger à Paris et dans le monde. Mes études étaient payées par une bourse vu mes résultats. Mais il me fallait aussi travailler en parallèle pour vivre. On m’a incité à contacter la rédaction de Radio Free Europe. Ils m’ont demandé de faire un petit reportage sur la France. Je débarquais, j’avais déjà écouté, mais jamais écrit. J’ai fait un sujet sur le thème de la rentrée, une institution en France. Et peu après, ils m’ont demandé d’autres sujets. Je suis ainsi devenu le correspondant pour la Bulgarie pour Radio Free Europe !

Vous vous retrouvez ainsi propulsé comme journaliste.

V. N. : J’ai appris sur le tas. J’ai fait un tour en Bretagne pour ma maîtrise. De retour à Paris, j’ai pu devenir stagiaire à Radio France Internationale, puis 5 ans au service des programmes. Puis le chemin m’a mené, avec des hauts et des bas. Début 2003, Radio Free Europe a fermé, le gouvernement Bush a coupé les financements. J’ai travaillé alors pour la BBC, comme correspondant pour la Bulgarie. Puis eux aussi ont fermé. J’ai aussi été correspondant pour le principal journal de Bulgarie, « ‘Dnevnik ». Voilà ma carrière de journaliste.

Qu’est-ce qui vous a amené à vous installer à Millau ?

V. N. : En 2006, la vie nous a fait rencontrer avec un garçon. On a vécu ensemble assez rapidement. Lui, il est du Nord. Il était venu en vacances dans le sud avec ses parents, et il avait de super souvenirs de Millau. Il s’y sentait bien. Chaque année, il achetait son cartable en cuir au Mandarous, chez André Sales. Il me disait « Il faut qu’on aille à Millau. C’est un endroit magique ». Moi, je ne connaissais pas du tout le Sud-Ouest. Je me suis retrouvé là, il y a 5 ans, et pour tous les deux, c’est une sorte de révélation. On respire. Il y a les vibrations des causses. Les gens nous ont super accueillis. Après Paris, on était passés par la Bourgogne, et ce n’était pas pareil. On a passé deux années là-bas, ce n’était pas facile. Ici, on a été très agréablement surpris, ça a très bien marché pour tous les deux.

Vous avez découvert une ville séduisante, accueillante et tolérante. Je comprends que c’est un point compliqué à appréhender ?

V. N. : C’est difficile. C’est vrai que c’est plus facile dans les grandes villes. Car il y a l’anonymat. Pourtant cela ne veut pas dire qu’on est plus acceptés que ça. Mais on a la possibilité d’y vivre plus facilement. C’est pour cela que les jeunes gays vont souvent dans les grandes villes. En Bourgogne, nous étions dans une ancienne ville industrielle de 10.000 habitants. Nous nous sommes faits jeter par les dentistes. Cela existe en France ! Le contraste est important avec Millau, qui est une ville très ouverte. L’Aveyron peut être une terre assez conservatrice, avec un caractère propre. Les gens essaient d’abord de voir à qui ils ont affaire. Ce n’est pas comme dans le Sud est où on ouvre les bras à tout le monde. Ici, petit à petit, les choses se passent bien. Le fait d’arriver comme un couple n’a pas provoqué de remous. Les gens étaient juste un peu curieux.

Vous êtes donc un couple marié depuis combien de temps ?

V. N. : On s’est mariés ici à Millau il y a 3 ans, en 2018. On a fait une grande fête avec une cinquantaine de personnes, venues d’un peu partout en France, et aussi une partie de ma famille est venue de Bulgarie, en décalé. Au début du mariage gay, ce n’était pas forcément important pour nous, mais ici, justement, cela symbolisait quelque chose. A l’époque, nous avons été le premier mariage gay à Millau, célébré par Hugues Richard. On essaie, par la vie qu’on mène ici, de servir d’exemple. Des jeunes gays de l’Aveyron peuvent se dire qu’ils ne sont pas obligés de partir à Montpellier. Même si c’est plus difficile pour eux car ils sont du coin, ils ont des racines.

Vous travaillez donc maintenant pour l’association Relais VIH 12.

V. N. : J’ai été d’abord bénévole. Mon mari et moi, nous sommes tous les deux séropositifs. Nous sommes suivis à l’hôpital de Rodez, et nous avons pu rencontrer cette association qui s’occupe très bien des patients, et fait de la prévention. Puis un poste s’est libéré, je l’ai pris en septembre dernier. C’est un job vraiment super. Cela me permet d’être utile, de faire quelque chose que je connais, d’avoir des convictions. Et concrètement de pouvoir faire bouger les choses. Sur une petite échelle, c’est vrai. Dans le journalisme, cela arrive aussi, mais c’est plus ténu. Là, c’est vraiment gratifiant. On a des permanences à l’accueil de jour, aux Restaus du Cœur, on fait des interventions dans les lycées, les missions locales. Petit à petit, on fait bouger. On les aide, même au niveau affectif. On est là pour dédramatiser certaines choses, pour les épauler pour les tests, les dépistages. C’est un travail et un plaisir. C’est un peu une « mission ».

Etiez-vous déjà engagé dans la lutte contre le sida lorsque vous viviez à Paris ?

V. N. : Je suis un peu un vieux de la vieille ! J’ai été contaminé peu de temps après mon arrivée en France, il y a 30 ans. J’ai connu tout le parcours. Au début, je n’étais pas tellement engagé. Je voulais faire partie des protocoles. A un moment, j’ai travaillé pour le Journal du Sida, j’ai pu réunir mes deux aspects. J’ai fait des enquêtes sur l’Europe de l’Est. J’ai eu une période pas forcément militante, mais où j’ai pu contribuer concrètement. J’ai eu des petits copains très engagés, je suivais la lutte. Puis avec Barthélémy, on a mis nos parcours ensemble. J’ai laissé un peu les choses de côté pendant un moment. Cela a été bienvenu de pouvoir s’impliquer à nouveau. L’année dernière, nous avons monté une petite réunion autour de l’homosexualité dans la ruralité. J’ai aussi été proche de l’association « Alertes », très active dans la région. D’autant plus que la nouvelle municipalité est ouverte et réceptive. Des choses se mettent en place. C’est gratifiant d’être dans le mouvement.

Quels liens conservez-vous avec votre pays, la Bulgarie ?

V. N. : Là, il me faudra 4 heures ! Je suis devenu français en 2007, et j’ai pu voter pour la première fois. J’ai gardé exprès la double nationalité. Pour moi, ce n’est pas que symbolique. Je suis né là-bas même si physiquement, je n’y ai pas beaucoup vécu, j’y ai fait mon service militaire. Mais cela fait partie de moi. Avec la transition difficile qu’ils sont en train de vivre, du totalitarisme, c’est un peu un combat de Sisyphe. Là-bas, je fais partie du parti des « Verts », qui s’intègre dans une coalition de 3 partis, « Bulgarie Démocratique ». C’est eux qui gardent la flamme de la démocratie dans un paysage politique très difficile car il y a eu 12 ans d’un gouvernement très lourd, avec des liens avec la mafia, beaucoup de corruption. Moi, je suis impliqué à distance, par les réseaux sociaux. Sur l’angle de la démocratie, et aussi de la communauté LGBT, qui a été très malmenée pendant la campagne par des forces conservatrices, chauvinistes. Il y a eu des violences contre des jeunes LGBT. J’essaie d’aider indirectement par des parallèles, par des appuis à des actions. C’est un peu dichotomie. J’y mets le pied rarement. D’un côté, je ne me sens pas vraiment en sécurité là-bas. J’y vais mais je sais que j’ai mon billet de retour !

L’insécurité est-elle surtout liée à votre activisme politique ou à votre statut de gay ?

V. N. : Les deux. La société est difficile. Tout a été fait pour rompre les liens entre les gens, et cela a marché. On travaille sur les instincts très primaires, très basiques. Il y a vraiment un déclin sur plusieurs aspects. La distance me permet d’être préservé, de faire les choses et d’avoir un cercle de sécurité et de sérénité.

Et votre famille, vit-elle toujours là-bas ?

V. N. : Justement, je vais en Bulgarie en juillet pour quelques jours pour chercher ma mère, qui a 82 ans. Elle va venir vivre à Millau. Elle ne peut plus être autonome. Ma cousine et son mari vont partir en Angleterre. Il n’y aura plus personne là-bas. Cela me permettra de renouer les liens avec ma mère. Mon mari a beaucoup insisté pour la faire venir.

Votre famille a-t-elle approuvé vos choix de vie, par rapport à l’exil et à votre couple ?

V. N. : C’était progressif. Ma mère a été une mère téléphonique pendant toutes ces années. Cela va changer. Par rapport à l’homosexualité, et à la séropositivité, la distance m’a aidé. J’avais le double verrou à faire sauter. Je voulais choisir le bon moment. Mais il n’y a en fait jamais de bon moment. Je me disais que j’allais le faire quand je serai heureux, mais ça ne n’est pas passé comme ça. Ca ne se passe jamais comme ça ! Ce n’est pas arrivé à un très bon moment. Ce n’est pas par rapport à l’homosexualité, c’est par rapport à la séropositivité. Cela les a fait paniquer.

Surtout à l’époque !

V. N. : Oui, c’était début des années 2000. J’ai vécu une dizaine d’années sans problème. Puis quand les trithérapies ont commencé à marcher, il fallait expliquer. Moi, début des années 90, je le disais très peu, sauf à mes partenaires. J’ai toujours été assez serein par rapport à ça. Je l’utilisais comme une sorte de coup de pied.

Vous avez donc suivi une trithérapie.

V. N. : Oui, très tard. J’ai eu la chance de passer 15 ans sans en avoir besoin. C’est rare. Je me faisais suivre régulièrement. Quand on s’est rencontrés avec mon compagnon, j’avais commencé à en avoir besoin. Et on a commencé ensemble. Cela nous a aidés tous les deux. Cela remonte maintenant à 2007.

Pour la famille, cette maladie est une source d’inquiétudes ?

V. N. : Oui, c’est une source de peur. De me perdre. J’ai dû expliquer, rassurer. Ce n’est pas anodin, il y a des effets secondaires, il y a des fatigues. Même s’il y a maintenant un seul comprimé par jour, c’est à base de chimiothérapie. A la longue, il faut suivre ça de près. Et aussi, le virus demeure toujours présent, même s’il est indétectable. Il est tapi dans des réservoirs, l’infection est là.

Votre mère était-elle venue pour votre mariage ?

V. N. : Elle n’avait pas pu venir car elle était malade. Ma tante, ma cousine et son mari étaient venus, en décalé car mon neveu avait des examens. Ils ont bien aimé, ils ont raconté à ma mère.

Du coup, votre mère arrive dans une ville qu’elle ne connaît pas ?

V. N. : Elle était venue à Paris 2 ou 3 fois. Elle adore la France. Elle regarde la télé française de Bulgarie, même si elle ne parle pas français. Notamment le samedi soir, Patrick Sébastien ! On a beaucoup parlé de son installation ici. J’essaie d’aplanir les choses pour que ça se passe bien pour tout le monde. Pour qu’on structure une famille.

Vous disiez que vous étiez impliqué dans la politique bulgarienne notamment via les réseaux sociaux, mais vous êtes également très actif en France dans ce domaine. On a pu voir que dans la période avant les régionales, vous avez beaucoup incite au vote en rappelant qu’en France, on a la chance de pouvoir voter car vous venez d’un pays où le droit de vote n’a pas toujours pu s’exercer.

V. N. : Pour moi, c’est viscéral. Je mesure la chance. Et pas seulement la chance car les gens se sont battus pour le droit de vote et ont réussi. Je suis admiratif par rapport à la vitalité de la démocratie française. C’est dommage que les gens la prennent pour acquise. Elle n’est jamais acquise. Moi, j’ai des souvenirs de la Bulgarie totalitaire, de mascarades de votes. C’était une fête avec la musique, tout le monde devait y aller, mais il y avait un seul candidat… C’était fantoche. J’ai participé un peu aux évènements de 1989. Il y a eu un grand rassemblement le 14 décembre 1989, mon copain de l’époque et moi, on était en première ligne, on avait encerclé le Parlement. On l’appelait le Parlement, mais ils confirmaient juste les décisions du Parti. On voyait les parlementaires derrière les rideaux, des visages terrifiés. Nous étions à côté, nous le peuple, et notre seule demande était l’abrogation de l’article 1er de la Constitution, qui postulait que le Parti est Père-Mère et tout sur terre. On voulait juste ça. On avait appris ensuite qu’à un moment, le Président de l’époque, qui avait remplacé le dictateur, qui était le Ministre des Affaires Etrangères, censé être un peu plus ouvert, avait appelé les chars. Cela a tenu à très peu que ça bascule. J’ai vécu ces tensions-là, et du coup, depuis que j’ai la possibilité de voter, depuis 2007, je n’ai pas raté une élection. J’ai tenu un bureau de vote à Paris, ici à Millau. Pour moi, c’est une fête, une vraie fête, ce n’est pas quelque chose qui nous est imposée. Effectivement, je suis impliqué à deux endroits. J’essaie de servir de facilitateur pour expliquer aux uns et aux autres ce qui se passe de l’autre côté, et apporter un regard. Je me suis retrouvé à défendre les mêmes valeurs. Ici, j’étais vert-PS. Là-bas, une coalition qui se disait de droite mais qui était progressiste car le Parti Communiste rebaptisé socialiste est conservateur et réactionnaire. Le pouvoir est mafieux, et ce petit pays est facile à contrôler.

Et en France, à quel moment, vous êtes-vous engagé politiquement ?

V. N. : J’étais dans un bureau de vote à Paris. Mais c’est à Millau que je me suis vraiment engagé. J’avais besoin de contribuer là où j’étais. J’en avais envie. Je voulais aussi rendre à la ville, aux gens. C’était assez naturel. C’est aussi très gratifiant. Je peux à ma façon expliquer certaines choses. J’ai été un soutien proche de la liste d’Emmanuelle Gazel. Mais même ici, je revendique mon indépendance. C’est la première fois que je m’engage. Je le fais en fonction de mes sensations. Je l’ai fait il y a 4 ans pour la Présidentielle. Pour moi, venant de Bulgarie, les étiquettes n’ont pas d’importance. A l’époque, on était devant un ballotage Le Pen- Fillon. Pour nous, c’était l’horreur des deux côtés. Je me disais qu’il faudra monter sur le Larzac pour faire une résistance ! Et j’ai entendu Emmanuel Macron parler de l’Europe en février 2017. J’étais convaincu. C’était un peu miraculeux, il nous a sauvé d’un grand danger. Car Fillon prenait son thé avec Poutine dans sa datcha de la Mer Noire. Et le Pen pareil. Pour moi, Poutine, c’est l’incarnation de la destruction. Il essaie de détruire la démocratie en Europe de l’Ouest. C’est plus dangereux en Bulgarie, mais il faut aussi se méfier ici. Je vois que plus les gens se désintéressent, et plus c’est dangereux pour la démocratie.

Allez-vous vous engager à nouveau pour la campagne présidentielle 2022 ?

V. N. : Maintenant, je m’engage différemment. J’ai eu une période militante, sur le terrain. Mais là, ma mère arrive, j’ai mon travail, je vais être engagé, mais peut-être pas directement. J’ai mes convictions. Paradoxalement, je me sens viscéralement français. Comme j’ai été si bien accueilli, je pense avoir le devoir de traduire ce que je comprends de la France, de son histoire, de ses traditions, et de défendre ça. C’est aussi mon rôle comme « nouveau » Français. J’y tiens beaucoup. C’est aussi une grande richesse pour la France, des gens comme moi. On s’implique, on s’intègre. Moi, je me sens complètement intégré. Je n’ai jamais senti de discrimination. J’ai des convictions tranquilles, mais sereines. J’échange avec des personnes partout en France avec lesquelles je me sens en proximité intellectuelle, où on se retrouve sur des valeurs fondamentales. Je m’intéresse à la Bulgarie, à la France, à l’Europe. C’est mon identité. Une identité un peu patchwork !  

Entretien réalisé par Odile Baudrier à Millau le 26 juin 2021

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