QUEL AVENIR POUR LA HALLE VIADUC ?

Après des années fastes avec notamment les visites du chantier en bus – cabriolet, la Halle Viaduc connait depuis une décade un destin précaire sans trouver une vraie orientation pour ce bel espace placé dans un lieu stratégique de Millau. Quel avenir pour la Halle…notre dossier

«Attendez, ne partez pas, je vais vous montrer quelque chose ». Christian Combemale s’éclipse de cette grande salle de séjour chargée de nombreux souvenirs de voyage, dont cette belle collection de masques africains.

Quelques instants plus tard, nous nous installons, les deux coudes sur le bois d’un long bar vernis «tenez, regardez…». Dans ses mains, le Livret-Guide du Touriste édité pour la saison 1921 – 1922, ainsi que le Guide Michelin année 1923 vendu au prix de 20 francs et cette note éditée par le Syndicat d’Initiative de Millau datée de février 1923.

Cette année là, le S.I., fondé le 5 avril 1911, compte déjà 450 membres. Dans le Comité de Pilotage, nous retrouvons des noms prestigieux, la cantatrice Emma Calvé, le sculpteur Denys Puech, le romancier et poète François Fabié et l’homme politique André Balitrand.

Dans ces documents d’époque, balayés d’un regard curieux et amusé, quelques phrases en feuilletant ces pages jaunies sautent aux yeux. Elles sont savoureuses. En voici quelques-unes «Il faut encourager le Syndicat d’Initiative travaillant dans un esprit patriotique et désintéressé »… » « Le Syndicat d’Initiative est une association amicale de bons Millavois qui se propose d’entretenir la bonne santé physique et mentale de tous ses adhérents et de cimenter des liens de fraternelle amitié entre tous »…Quant aux grandes orientations du S.I., elles se résument en quatre grandes lignes «Faire de Millau le centre de tourisme des Causses et Gorges du Tarn…» « Protéger les sites et les curiosités artistiques ou naturelles»… » « Développer le commerce et l’industrie»…et enfin  «attirer et retenir les étrangers et les touristes en leur rendant un séjour facile et agréable». Comme quoi, il y a cent ans déjà, attractivité, environnement et communication étaient déjà  les maîtres mots d’un directoire présidé par François Bompaire, l’ancien maire de la ville.

Christian Combemale, l’ancien voyagiste et autocariste, n’est pas peu fier d’exhumer de sa collection d’archives ces documents d’un temps pas si ancien que cela. Car entre publicités pour les Galeries Parisiennes, pour l’hôtel Nogarède à La Roque, pour le garage de premier ordre A. Gombert avec son école de chauffeurs ou bien encore pour la Bière de Millau et la brasserie Touren, ces pièces authentiques témoignent à leur lecture que finalement rien ne s’invente réellement, les intentions, les ambitions restent les mêmes et traversent les époques, juste les mots changent.

Christian Combemale est dans le tourisme depuis sa plus tendre enfance. Sur l’une des photos anciennes ornant l’un des murs d’un long couloir, on le voit en culotte courte, habillé d’un pull au col blanc dépassant, accroché à la portière d’une belle décapotable des années 50, trois jeunes filles à sa gauche, les parents encadrant ce gros modèle familial.

Le père Combemale, René, était cafetier à Meyrueis mais également bistrotier, restaurateur et taxi. «Lui aussi, il faisait déjà des visites en décapotable» commente le fils. A droite de cette photo, une autre, tout aussi évocatrice, a trouvé bonne place dans ce mur à souvenirs. Elle montre les premiers bus décapotables pour visiter les gorges du Tarn surmontés d’une capote en toile en cas de pluie « vous voyez, je me suis inspiré de cela ».

Christian Combemale n’a pas eu à retourner mille clapas pour trouver la bonne aventure et dénicher l’idée lumineuse qui fut celle de créer une ligne de bus décapotables pour assurer pendant les années «folles» du Viaduc de Millau les visites du chantier dans un premier temps puis celles de l’ouvrage lorsque celui-ci fut inauguré en décembre 2004. Une succes story bien de chez nous que cet infatigable promoteur du tourisme local raconte toujours avec la petite flamme qui a servi à nourrir, pour lui et son épouse, une force de travail dévorante. Cette aventure-là voici «au départ, personne n’y a cru. On commençait juste à faire des trous. J’ai finalement réussi à les convaincre et j’ai signé un contrat de trois ans avec l’exclusivité d’emprunter la piste Nord en payant une redevance de 20 000 euros par an».

Mine de ne pas y toucher, le regard plissé, ce flibustier des Gorges du Tarn a le bon flair. Il débute avec un petit bus de 15 places. Trois mois plus tard, 900 visites sont assurées par week-end pour grimper à 89 000 rotations par an «c’est à partir de là que j’ai fait construire en Espagne deux bus cabriolets »  poursuit-il en expliquant les petites astuces de ce vieux brisquard à qui on ne l’a fait pas « je me souviens, je téléphonais à Boubal. Je lui disais «il y aura une giclée dans 15 minutes. Tiens-toi prêt». Une giclée dans le langage codé, c’était 50 visiteurs redescendus du Viaduc, les yeux émerveillés mais le gosier asséché «à peine descendus, on les guidait chez Boubal. Tout était déjà prêt et en 15 minutes la tournée était servie. Je peux le dire «c’était peut-être une niche, mais on a travaillé, c’était des temps heureux».

Un temps, l’épicentre de ces visites fut le Mandarous avant de migrer à la Halle Viaduc enfin inaugurée où les touristes se pressent pour grimper dans ces bus jaunes et rouges aux couleurs de la ville, avec ou sans poncho selon la météo et la Pouncho en immuable fond d’écran.

Si des initiatives privées naissent rapidement dans l’irrésistible souffle créé par la construction de cet ouvrage d’exception, citons les bateliers du Viaduc, les bus «impérial», les produits dérivés créés par Daniel Jamme et l’entreprise l’Ourson, les élus se chamaillent et ferraillent pour accrocher Millau à cette dynamique. Frédéric Dune alors directeur de la CEVM se souvient «effectivement, dans le cœur de ville, nous avions la base de départ des cars mais chacun voulait son expo pour attirer et fixer les touristes». Jacques Godfrain alors député – maire de la ville crée le Musée du Viaduc dans l’enceinte d’une ancienne école proche des Halles. Commentaire de Frédéric Dune «si le Viaduc fut construit dans de bonnes conditions, c’est aussi grâce à Jacques Godfrain car il s’est battu à nos côtés mais sur ce projet de musée, ce n’était pas une bonne idée. Pour moi, parler du Viaduc, ce devait être soit au Cazalous, soit à Brocuéjouls. Et la preuve, ces deux sites furent de grands succès».

A chaque décade, ses modes, ses courants d’idées, les années 2000, c’est effectivement la mode des centres d’interprétation, des maisons en tout genre, la maison de la truffe, de la cerise, le musée de l’eau, Micropolis…les projets sortent des cartons et fleurissent dans chaque canton. Jean-François Dumas, alors directeur des services de la communauté des communes, est au cœur de ce tourbillon qui empare la ville de Millau. Une décade heureuse, des saisons touristiques à rallonge, le grand rêve de tous les directeurs d’O.T., des restaus, des bistrots, des hôtels over-bookés à l’année, des entrepreneurs qui triment carnets de commandes à bloc, de l’intérim en pagaille, le baromètre de l’économie locale tape dans le beau fixe. Cela marque la fin de la déprime d’une amère période post-ganterie. Millau l’Eldorado, c’est presque Durango dans le Colorado. Jean François Dumas explique «la ville et la com-com allèrent bénéficier d’un plan de valorisation du Viaduc avec la création d’un comité de pilotage pour que Millau bénéficie d’un maximum de retombées en offrant une vitrine stratégique».

Après une grosse année de travaux évalué à 3 millions d’euros, ainsi naît la Halle Viaduc, ce carré de verre posé au corner de la rue du Rajol sur l’assise d’anciens lavoirs. Un projet lancé dans un contexte politique tendu entre Jacques Godfrain le maire et Jean Luc Gayraud, son dauphin, alors président de la Communauté des Communes et vice-président du département. Ca ferraille dur entre les deux hommes, le Journal de Millau s’en fait les choix gras. L’ancien élu, désormais installé à Albi, totalement affranchi de la politique locale, revient en plongeant dans ses souvenirs, sur la genèse de cette création «notre crainte était que tout se passe en dehors de Millau. Nous avons donc imaginé une triangulation en reliant la ville au Viaduc. Que cela parte d’un bâtiment, qu’il soit le point de départ des navettes et en faire le pivot de l’attractivité du territoire». Par ailleurs, la communauté s’élargit, les conseils communautaires sont à l’étroit, le besoin d’un amphithéâtre est réel pour réunir les 50 élus. Dans sa phase de réalisation, ce projet ne rencontre que peu d’opposition. Jean-Louis Esperce fut l’une des rares voix locales à critiquer ce concept. Dans une tribune récente n’écrivait-il pas pour rafraîchir la mémoire

de certains «Personnellement je m’étais opposé à ce concept consistant à créer un centre d’interprétation…Cette formule ne pouvait attirer les utilisateurs de l’A75. J’avais indiqué qu’il était préférable d’avoir un lieu d’accueil à l’aire de Brocuéjouls…Rapidement elle s’est donc révélée effectivement en décalage complet par rapport aux ambitions de ceux qui l’avaient voulue».

Jean Luc Gayraud se souvient des échanges qu’il qualifie de «musclés » avec Eiffage «nous avons réussi à garder le pont bleu mais également les pistes de chantiers qui devaient disparaître. Nous n’avions pas tout à fait les mêmes objectifs. Je pense qu’ils se sont mis au tourisme à notre contact» mais il admet néanmoins qu’à l’arrêt brutal des visites, aucune réflexion ne s’est engagée sur l’avenir d’une telle structure. Les bus cabriolets mettent le clignotant, les visiteurs toujours attirés par la grandeur de cet ouvrage, préfèrent le contact physique, nez au vent et regard émerveillé proposé sur le promontoire de l’aire de Brocuéjouls. Jean Luc Gayraud le reconnaît «nous aurions dû faire évoluer cet espace mais la question de laisser tomber ce lien entre la ville et le viaduc ne s’est jamais posée» une position rejoignant celle de Jean François Dumas «il n’y a pas eu de vraies études approfondies. Nous avions finalement trois pôles mais un s’est révélé de trop. Les expos présentées nécessitaient une certaine culture. C’était trop virtuel. Finalement, les visiteurs souhaitaient avant tout être en contact avec le viaduc, le toucher».

Le Viaduc et ses 5 millions de passage annuels, installé immuablement dans le paysage des causses, le filon des visites se tarit et l’aire d’autoroute prend le pouvoir, une réussite pourtant loin d’être imaginée comme le rappelle en un clin d’œil amusé  le journaliste Jacques Bréfuel dans une édition du Journal de Millau de juillet 2020 «à ce sujet aucune des nombreuses études réalisées sur “l’après-viaduc” n’avait prévu cette importante fréquentation de l’aire, jugée par ces études, comme une simple aire de repos pour soulager des besoins naturels ! ». Fin de l’état de grâce, la fonctionnalité de la Halle Viaduc se pose : que faire de cet espace stratégique, 200 mètres carrés de plein pied situé au cœur même du projet Capelle où s’est recentrée l’activité commerciale du centre urbain ?

La Halle Viaduc désormais à quai, pourtant arrimée au centre commercial, connaîtra des fortunes diverses. Après de lourds investissements, cette baleine, c’est ainsi que l’on qualifie ce type de lieu urbain à la dérive, devient sous la municipalité Durand un lieu de formation pour les étudiants du M.E.S. Puis la partie haute est transformée en Maison des Grands Evènements. Là encore, cet espace ne trouve pas sa vocation. Dernier projet en date, l’implantation de la Maison de la Région Occitanie retoqué en une volte face de la communauté des communes provoquant la colère d’Emmanuelle Gazel.

Aujourd’hui la Halle du Viaduc, partie haute, coule des jours de solitude, portes closes et vitres teintées empoussiérées. Curieusement lors de la dernière campagne municipale, le devenir de ce bâtiment ne s’est jamais invité dans les débats, écrasé par les dossiers sensibles, hôpital, EPHAD, piscine, cœur de ville…

Cinq mois après un second tour se jouant à une lame de rasoir, Christophe Saint-Pierre, le maire sortant battu pour 47 voix, le reconnaît «oui, ce fut une interrogation régulière. C’est un peu le serpent de mer. Mais lorsqu’un bâtiment a été construit avec une orientation précise, il est toujours délicat d’arriver à le requalifier». L’archéologue aujourd’hui engagé sur un projet  d’expertise sur le site de Sylvanès confirme qu’à la fin de son mandat, une réflexion fut lancée à propos de l’Hôtel de Galy, la Maison des Entreprises et deux sites directement liés à l’histoire du Viaduc, les Cazalous en jachère dévorés par les ronces et les herbes folles et la Halle Viaduc pour une meilleure gestion des services de la com de com. En cas de victoire pour un second mandat, quelle était donc sa vision pour la Halle ? Sa réponse rejoint la position de la liste Ramondenc «soit en lien avec l’éducation, soit en lien avec sa vocation touristique. Pour dans un cas, apporter un complément pour le pôle d’enseignement supérieur notamment pour l’accueil ou soit créer une maison des guides pour les sports de pleine nature».

Avant les élections municipales, le dernier projet en date pour redonner vie à cette Halle fut celui visant à implanter la Maison de la Région Occitanie, un dossier retoqué en une brusque volte face de la communauté des communes provoquant la colère d’Emmanuelle Gazel. Mais désormais installée dans le fauteuil de maire, la nouvelle élue n’a pas dit son dernier mot sur ce dossier. Son analyse débute par un constat de simple bon sens « c’est un lieu idéalement placé avec La Capelle, en cœur de ville, avec une vitrine ouverte sur la rue. C’est un lieu qui a du potentiel mais qui n’a pas trouvé son attribution. Sous Guy Durand, il y a bien eu des projets comme celui de la Maison des Grands Evènements mais ce n’était pas au niveau du bâtiment. Ou bien encore comme l’an passé avec l’exposition sur la filière brebis et le cuir, mais c’est trop ponctuel».  En conclusion de cette première expertise, elle ajoute «les Millavois ne se sont pas appropriés ce lieu».

L’ambition d’Emmanuelle Gazel ne fait donc aucun mystère, réactiver ce dossier au niveau de la Région et le représenter au niveau local car affirme-t-elle «ce lieu tel qu’il est correspond exactement au cahier des charges d’une Maison de la Région pour devenir un lieu d’animation, un lieu de vie et de service public utile à la population et au plus proche des gens comme par exemple celle de Mende qui marche très bien». Avec trois compétences bien définies, les transports, l’économie et la formation, le secteur dont elle est en charge au niveau de la Région et de citer cet exemple «avec des agents présents pour accompagner, nous pourrions travailler sur l’image de certains métiers. Comme ceux du bâtiment qui souffrent d’idées préconçues. Nous pourrions organiser des rencontres, des journées d’animation avec les Compagnons du Devoir par exemple pour chasser les mauvaises idées sur ces métiers. Au final pour mieux répondre aux demandes locales».

En ces temps de crise et de doute, l’accueil, l’écoute, le soutien n’ont jamais été aussi cruciaux pour commerçants, restaurateurs, cafetiers, entrepreneurs petits et grands sans oublier le monde associatif également très impacté par la crise sanitaire. Dans un premier temps, la Halle Viaduc peut-elle ré-ouvrir ses portes comme lieu d’accompagnement pour chasser les démons, pour limiter à court terme la casse sociale et économique ? Ne serait-ce que pour la génération covid en grand désarroi, il y a urgence.

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