LA VALLEE DES FEMMES

Entre Millau et Peyreleau,  la vallée du Tarn compte 7 communes. Aujourd’hui, 5 d’entre elles sont désormais gérées par des maires femmes dont Christelle Bedel une ancienne grimpeuse de niveau national élue à Mostuéjouls. Rencontre et portrait.

La vallée des femmes ! L’axe sinueux de la rivière reliant Millau à Peyreleau, sept communes, sept maires et désormais cinq femmes écharpe tricolore en biais sur le tailleur, aux commandes de ces municipalités, la vague féminine a pris le bon courant en suivant cette vallée du Tarn de la ville du cuir jusqu’aux confins de la Lozère.

Si Danielle Vergonnier réélue pour un troisième mandat à La Cresse était la doyenne des maires femmes dans cette vallée des cerisiers, celle-ci a été rejointe petit à petit par Patricia Pitot Migayrou à Compeyre en 2014, puis cette année par Anne Pailhas à Aguessac et Christine Bedel à Mostuéjouls. Quant à la très médiatique Emmanuelle Gazel victorieuse d’une lame de couteau face à Christophe Saint Pierre à Millau, sa prise de pouvoir est très significative, la militante PS cumulant trois distinctions en une, première femme élue maire à Millau, mais également dans une sous-préfecture de l’Aveyron ainsi que dans une ville de plus de 10 000 habitants de ce département sans oublier sa nomination probable à la tête de la Communauté des Communes.

Au vu des résultats de ces dernières Municipales, l’ascension des femmes à ce poste de responsabilité est significative avec 5 femmes dans le fauteuil de maire dans les 10 plus grandes villes de France (Paris, Lille, Marseille, Nantes et Strasbourg). Mais pour autant, la présence des femmes à la tête des communes françaises reste très largement minoritaire, moins de 20% (17% en 2014) et guère plus de 10% dans l’Aveyron soit 30 à 35 sur un total de 285, un chiffre à confirmer lorsque la compilation complète sera établie.

Cette place des femmes dans l’espace politique même local n’est qu’une inégalité de plus aux côtés des inégalités à l’embauche, de salaires, de contrats de travail, de carrières professionnelles et dans le partage des tâches dans le cercle familial.

Installée entre deux drapeaux bleu blanc rouge, au bout de cette longue table dans cette salle du conseil municipal baignée de lumière, Christine Bedel, nouvellement élue à Mostuéjouls, le résume en une phrase significative «j’ai l’impression d’usurper cette place. On a toujours un doute. Suis-je vraiment à ma place ? C’est sans doute dans mon caractère. Mais finalement, le doute permet d’aller de l’avant pour trouver des choses qui iront dans le sens des bonnes décisions».

Mostuéjouls, c’est, côté Aveyron, le dernier village vigie avant l’entrée dans les Gorges du Tarn lorsque la rivière se fait la belle en s’échappant de son corset entre le Roc des Agudes rive droite et le roc de Francbouteille rive gauche. Ce site exceptionnel, ce ne fut pas un simple coup de cœur de vacances pour le couple Bedel lorsque la soixantaine approchant, fut venu le temps de réfléchir où passer une retraite heureuse. Car Toni le mari, de profession guide de haute montagne, fut l’un des premiers grimpeurs à ouvrir les grandes voies de la Jonte. Quant à Christine, fille et petite fille de grands montagnards, son père a grimpé avec René Desmaison elle fut l’une des pionnières de l’escalade en falaise, la génération Destivel et des frères Le Ménestrel, Marc et Antoine, ce dernier connu pour avoir créé des spectacles où danse et escalade s’unissent pour défier les lois de l’équilibre et de l’esthétisme corporel dans l’espace.

Curieusement, par pudeur sans doute, Christine Bedel hésite à parler de cet instant de vie comme si cordes, mousquetons, baudriers et sac de magnésie avaient été remisés au fond du sac à dos. C’est du bout des lèvres qu’elle dit même «c’est mon histoire», une histoire pourtant riche d’une belle aventure, celle d’un sport naissant, les entraînements à Fontainebleau et au Saussois dans l’Yonne, puis la création des premiers clubs d’escalade, les premières salles et les premières compétitions. Celle qui passe son BE dans les Gorges de la Jonte franchit du 8a au Troubat dans les Pyrénées, un Everest à cette époque dans le petit monde des grimpeurs, grimpeuses aux mains nues.

De l’escalade à la politique, il n’y a qu’une grosse marche à franchir, celle de la mairie de Mostuéjouls, pas si sûr, Christine Bedel l’analyse ainsi «lorsque l’on grimpe, la technique doit vous apporter tout ce qu’il faut pour réussir. Alors qu’en politique, c’est l’humain d’abord et on ne maîtrise pas tout. Il faut discuter, être attentive, à l’écoute et les choses peuvent se caler».

L’ancienne grimpeuse qui fut fonctionnaire territorial dans le sport se lance donc à 69 ans en capitaine de cordée pour conquérir cette municipalité, le maire sortant ayant décidé de briguer un nouveau mandat, mais cette fois de l’autre côté du Tarn, au Rozier, sur les terres d’Arnaud Curvelier aussi solidement ancré dans sa commune que la croix au sommet de Capluc.  Une liste plurielle et diversifiée se monte avec des néos et des «gens d’ici», Christine Bedel précisant «on n’est jamais élue seule. J’étais à la recherche de personnes qui souhaitent s’engager». Elle reçoit notamment le soutien de Bernard Graille un menuisier à la retraite très actif sur le plan associatif et de Jean-François Dumas, l’ancien directeur des services de la Communauté des Communes de Millau Grands Causses, la personne ressource pour naviguer dans les arcanes de cette institution locale. L’équipe trouve un slogan «bien vivre ensemble», celle qui porte désormais l’écharpe tricolore de préciser avec un petit sourire «c’est difficile de trouver un slogan car on tombe vite dans du bateau. Et on est resté dans du bateau».

Installée Maire le 25 mai, cette femme très attachée aux aspects patrimoniaux, se donne trois priorités, sauvegarder l’authenticité au village, lui conserver son attrait et répondre aux besoins des habitants notamment sur les problématiques d’approvisionnement en eau «les anciens avaient créé des réseaux complexes qui fonctionnaient. Il faut lancer une étude de faisabilité autour de la source de Troulhas qui a servi jusqu’en 2017».

Ses premiers pas comme édile de la commune sont dominés par la problématique de l’eau «nous avions mis l’eau comme priorité, ce fut prémonitoire» rappelle-t-elle car très vite le nouveau conseil doit régler des problèmes de bouchons calcaires obstruant les canalisations. Puis, quelques jours plus tard, le Tarn crache sa colère et inonde la vallée, noyant une partie des huit campings à peine installés.  Christine Bedel relève la tête «nous avons démontré que nous avions une équipe soudée et qui fonctionne. Nous avons eu un vrai élan de solidarité. J’étais ici à la mairie, c’était notre QG pour coordonner l’ensemble».

Après cet excès de colère, Mostuéjouls a depuis retrouvé son calme et le Tarn, s’étirant en contrebas d’une belle couleur verte aux reflets d’argent caresse à nouveau des niveaux proches de son étiage au pied de la chapelle Notre Dame des Champs. Sur le pas de porte de sa mairie, la nouvelle élue esquisse un sourire pour dire « à nouveau on entend des enfants rire dans les rues, des gens parler dans les rues car nous avons des jeunes couples qui se sont installés ici». Ne reste plus qu’à célébrer son premier mariage et pour quand ? La question n’est pas anodine, Christine Bedel de répondre «mon fils m’a dit «si tu es élue, je veux que ce soit toi qui me marie. Ce serait mon premier mariage comme maire. J’en serai très émue».

Photographies réalisées le 24 juin 2020 à la mairie de Mostuéjouls

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