LA CRISE DES PHARMACIES EN AVEYRON ?

La menace d’une fermeture de la pharmacie de St Sernin Sur Rance faute de repreneurs a levé le voile sur la situation délicate de ce secteur d’activité. Les difficultés ne manquent pas, en Aveyron, comme à travers toute la France.

St Sernin sur Rance et sa pharmacie ont eu les honneurs de TF1. Pour une triste raison, celle de sa fermeture programmée pour la fin juin, faute pour sa propriétaire, Madame Gaubert, d’avoir pu trouver un repreneur malgré déjà deux années de recherche. En quelques jours, cette médiatisation aura permis de débloquer la situation, plusieurs pharmaciens se manifestant pour poursuivre l’exploitation de cette entité. Mais elle aura également levé le voile sur la situation délicate que connaît ce secteur d’activité.  

Un contexte compliqué, en Aveyron, comme à travers toute la France, dans le monde rural, comme dans les villes, qui retentit principalement au moment de la transmission pour cause de retraite. Et particulièrement pour les pharmacies de petite taille, en villages, ou dans les quartiers. L’Aveyron a ainsi enregistré 3 à 4 fermetures de pharmacie. Et Pierre Vayssettes, le président du Syndicat des Pharmaciens de l’Aveyron, et pharmacien à Villefranche de Rouergue lance un cri d’alerte : « La profession doit être mieux prise en compte par les pouvoirs publics ! Il faut une politique volontariste pour la pharmacie ».

La désertification médicale pèse lourd sur les pharmacies

Mais la désertification médicale pèse lourd sur l’ensemble du secteur médical. Comme le souligne Thierry Castanier, de la Pharmacie du Viaduc à Millau : « C’est un éco système compliqué ». Il contraint à l’interaction entre plusieurs acteurs : médecins, infirmiers, pharmaciens : « S’il y a déficit dans l’une des professions, cela crée plus de pressions sur les autres. »

Le manque de médecins dans les zones rurales ne peut qu’impacter sur la délivrance d’ordonnances, qui constitue justement le cœur du métier d’une pharmacie. Et cette carence pèse lourd aussi dans l’approche d’une jeune génération de pharmaciens, moins motivée à évoluer dans un tel isolement.

D’autant que la pression financière s’avère forte dans un contexte où la marge dégagée diminue à travers les années. Pour Pierre Vayssettes, la perte serait d’environ 10% par an. En raison des règles complexes qui réglementent le prix des médicaments, fixés par l’Etat. Le système dit de la marge dégressive lissée définit des marges différentes selon les tranches de prix des médicaments remboursés : elles sont plus faibles sur les produits les plus chers, de plus en plus techniques, qui dépassent les 1000 euros, et qui enregistrent actuellement une explosion de leur diffusion.

Les marges diminuent, la concurrence s’accroît

Or le système négocié avec la Sécurité Sociale s’appuie sur un volume global de remboursement, qui n’évolue pas. Conséquence inattendue : moins de médicaments sont remboursés, et les marges des pharmacies en sont affectées. Et en-dessous d’un certain seuil de chiffre d’affaires, la rentabilité ne devient plus possible, d’où la difficulté de transmission, constatée également pour des pharmacies de quartier de ville, comme récemment à Béziers. Il s’y ajoute également un contexte de concurrence plus fort, avec la vente par internet, les tarifs de discount, la mobilité des patients…

Sans oublier aussi l’impact des transferts de pharmacies, qui se déplacent vers les zones les plus commerciales des villes. Exemple à Millau, où dans ces dernières années, quatre pharmacies ont changé leur lieu d’implantation, pour rejoindre la zone du Crès, le Centre Commercial Capelle, la zone du stade. Avec tout récemment, un échec, celui de la pharmacie du Parc de la Victoire, qui a fermé ses portes quelques mois après le très lourd investissement effectué pour s’agrandir et se déplacer de quelques centaines de mètres de son ancienne implantation.

Un métier humain, à l’écoute des patients

Les enjeux financiers pèsent, mais le métier passe avant tout par l’humain. Thierry Castanier le résume par cette formule : « Nous devons satisfaire à la fois un client et un patient ». Et d’insister sur le rôle particulier d’une officine : « C’est souvent un confessionnal ! C’est la gare d’entrée du système de soins. On ne fait pas de la simple mise en rayon. Chaque demande est individuelle. Il faut du temps pour y répondre et faire un travail de qualité. »

Pour y réussir, la profession s’est particulièrement bien structurée sur le plan logistique. Le système est identique à travers toute la France, s’appuyant sur le grossiste répartiteur, qui permet au médicament d’être délivré partout dans le même délai. Pour l’Aveyron, le grossiste installé à Rodez garantit une livraison deux fois par jour dans chacun des 118 pharmacies du département.

Une méthode rôdée que l’Etat a pu utiliser durant la récente crise du COVID, où les pharmacies ont été chargées de distribuer les masques au personnel de santé. Cette période difficile a justement mis en lumière l’importance de ce maillage fin des pharmacies sur tout le territoire. Et pour le président du Syndicat des Pharmaciens de l’Aveyron, il est essentiel pour les pouvoirs publics de ne pas oublier la pharmacie dans la refonte du système de santé, et d’admettre que la permanence des soins ambulatoires est assurée grâce aux pharmacies. Sans oublier que l’ambition affichée par les pouvoirs publics du maintien des personnes âgées à domicile exige aussi cette proximité géographie des pharmacies.

Les vaccinations en pharmacies, un palliatif ?

Face à ces difficultés économiques, les nouvelles possibilités de vaccination en pharmacie contre la grippe, et peut-être dans l’avenir contre le COVID, peuvent-elles représenter des palliatifs ? Non pour Pierre Vayssette, qui souligne que ce nouveau travail ne peut compenser la perte de marge sur les médicaments remboursés, qui représentent les 2/3 de l’activité d’une officine.

D’autres perspectives autour de la télémédecine sont en réflexion. Avec la création de cabines dans les pharmacies qui seraient la porte d’entrée de la téléconsultation, essentiellement dans les zones rurales, où les patients pourraient être assistés du pharmacien durant ces consultations à distance.

Autant de missions qui relèvent de l’accompagnement des personnes, intéressantes aussi sur le plan collectif, car permettant un accès plus facile à la vaccination, tout en allégeant la charge des médecins, mais qui ne peuvent représenter une véritable bouffée d’oxygène financière.

Le recrutement des jeunes générations, un art délicat

Le volet humain n’est pas le moindre à gérer dans une pharmacie. En moyenne, une pharmacie aveyronnaise compte 4 à 5 salariés. Et pour conserver ces forces vives, se pose le problème du recrutement de jeunes générations, plus attirées par la ville. Ce point est primordial pour Thierry Castanie : « Montpellier grossit et absorbe tout. Ici, à Millau, les jeunes peuvent voir la qualité de vie. » A condition de se structurer pour être attractif dans ce milieu rural.

Pour cela, le pharmacien du Viaduc a développé une synergie avec Luc Donnadieu de la Pharmacie du Stade, essentiellement dans le domaine de la formation. La petite vingtaine de salariés peut ainsi être formée à domicile par des formateurs venus spécialement à Millau.

La garantie de conserver une mobilisation parfaite des équipes, surtout dans leur capacité à l’enthousiasme et à l’empathie, deux qualités primordiales à la profession pour Thierry Castanier : « Notre métier n’a pas changé depuis 20 ans. C’est celui de connaître les gens, et de satisfaire les humains. » Tout en gardant l’œil sur la gestion des 8000 références que compte son officine. L’alchimie est aussi complexe que passionnante !

  • Texte : Odile Baudrier
  • Photo : D.R.

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