SAUCLIERES, LE FOOT – CLOCHER A L’ARRET

Comme tous les sports, le foot a sifflé la partie dès la mise en place du second confinement. En plein championnat, les clubs petits sont ainsi à l’arrêt et les stades en jachère. Voyage au pays du foot-village, du foot-clocher et stop à Sauclières aux confins du Gard où le FC Saucliérois longtemps considéré comme l’un des piliers du foot local est resté sur le banc de touche. Port folio réalisé dans 13 communes du Sud-Aveyron (grands causses et Lévezou)

Passé Comberedonde, la route taille droit. Dans les tympans, dernier refrain des Fleetwood Mac, album Rumours, année 77, un bail…, une paie…

“You can go your own way…Go your own way,
You can call it…Another lonely day,
You can go your own way…Go your own way”…pour se laisser glisser, pour laisser filer…

Un virage à gauche, c’est l’entame du ravin de la Brévinque. Un gros coup de rein, belle dévalade pour entailler en contre-bas le Bois du Roi. Passé cette courbe, l’ancienne voie ferrée se devine, apparente dans les bosquets dégarnis, dans ces petits chênes noueux et nerveux. Toute en courbes, cette longue entaille épouse les premières pentes du mont Jucla, puis elle s’enroule autour du Bénéfire pour traverser Sauclières et prendre enfin son élan pour franchir ce pied de Cévennes et venir mourir au Vigan.

Le stade de foot est là, en contre-bas, entre la Virenque, la voie ferrée et la rue Basse dans cette plaine où l’hiver, les brouillards sont morveux. C’est à peine s’il se planque derrière une longue palissade de thuyas bordant la départementale. Un stade de village avec son herbe drue, ses pâquerettes qui se foutent des saisons, ses pissenlits dodus et sa petite tribune en bois, quelques planches cloutées bien assemblées, du fait maison, du système D qui sent bon la débrouillardise des gars de la campagne.

Le stade de foot de Sauclières est en jachère. Le FC Saucliérois est en sommeil. Le dimanche 5 juillet 2020, les dirigeants, les joueurs se réunissent. Constat, bilan, ça discute, on argumente. La décision est prise, le club qui ne compte plus sur un effectif suffisant, appuie sur pause. L’annonce est officielle le 13 juillet sur la page facebook du club.

La faute au virus, à deux confinements, à deux arrêts des compétitions…oui, sans aucun doute mais pas que. Sébastien Parguel, l’un des piliers du club, l’ancien gardien de but, l’homme à tout faire du FCS, indéfectible licencié depuis vingt ans, ne cache pas la vérité. Il explique «nous sommes surtout victimes d’un règlement. C’est 80% de notre problème. Nous n’avons pas d’arbitre officiel, donc nous ne pouvons pas recruter des joueurs mutés. L’un ne va pas sans l’autre. Alors comment recruter lorsque nous avons des départs dans un village comme le nôtre et qu’il est presque impossible de recruter un bénévole qui souhaite se former pour devenir arbitre ?».

Créé en 1975, le club a connu des fortunes diverses, rien d’anormal dans un village de 170 habitants bien caché au pied du Saint-Guiral, à deux enjambées du Gard, connu pour sa scierie et autrefois pour son musée des Automates aujourd’hui disparu. En 2014, le FCS renaît. Sébastien Parguel raconte «c’est une histoire rocambolesque. Tout vient de Cédric Alexandre. Le trésorier nous invite au Tournoi de Six à Saint-Beauzély». Sébastien le bon vivant, il se définit lui-même ainsi, pose ses conditions «d’accord on vient mais le matin, on veut manger aux tripous».

Le matin du tournoi arrive, la table est dressée, les tripous sont fumants dans la casserole. Ils sont vite avalés. Sébastien intervient «bon, on n’est pas juste là pour manger. Allez, on vous écoute vous mettre à table». Cédric prend la parole «bon, on s’est comptés. On pense qu’on est assez pour reprendre le club». Le tournoi se déroule, les gars de Sauclières en manque de matchs, les tripous dans les guiboles, prennent des coups mais se font plaisir. Le soir, c’est l’apéro. On ressort la liste. On décompte 18-19 noms. A cela s’ajoutent sept jeunes du Vigan sans maillot à tremper. Le compte est bon, l’effectif est suffisant pour tenir un hiver et un printemps, le FCS peut ressortir les maillots couleur rouge sang. Un enthousiasme vite terni car le club connaît un drame avec la disparition d’Aurélien, une nouvelle recrue, victime d’une noyade un jour de pêche dans le lac du Salagou. Sébastien commente avec recul «finalement, ce drame nous a soudés. Tous les dimanches, on jouait pour Aurélien».

Le FCS, c’est un style de jeu connu dans ces contrées où autrefois les villages s’affrontaient dans un championnat du monde du Larzac, l’ADSSA, regroupant Sauclières, St-Eulalie, Alzon, La Cavalerie, Nant, St-Rome de Cernon, un tournoi maison où les crampons étaient aiguisés et les cadeaux ficelés à la corde de faucheuse. Les Saucliérois sont connus pour leur jeu rude pour ne pas dire plus. Sébastien en convient «on est un peu brut, on est francs, on ne passe pas par quatre chemins. Les St-Jeantais disent de nous que nous sommes un peu «cabourd». Sur le terrain, on peut traduire poliment par….jeu viril. Les joueurs de Nant en connaissent un rayon, chevilles et tibias à la mémoire tuméfiée. Sébastien raconte «les derbys avec Nant ont toujours été compliqués. Avant les matchs, les repas de famille étaient tendus car nous allions nous affronter sur le terrain. Ma mère qui est de Saint-Izaire m’interdisait de jouer lorsque Sauclières rencontrait cette équipe. Pareil contre Nant car mon frère était marié à une nantaise».

Stade de Saint-Jean du Bruel

Longtemps, ce petit club sera la bête noire du canton, le club phare avec un esprit de conquête. Sébastien Parguel l’exprime ainsi «c’est le foot – clocher» pour ajouter dans la foulée «moi, le matin, je ne me levais pas pour perdre». Le club sort du lot par son physique, par son envie, le plus rapide devant et en avant…L’esprit Atcher, comprenez Daniel Atcher, l’ancien maire, disparu il y a peu, dès la première heure dans l’aventure naissante de ce club. C’est également l’esprit des anciens qui dans les vestiaires n’avaient pas à forcer la voix pour asséner «et les gars, vous allez jouer pour le village».

Le FC Sauclières gagne ainsi en 2015 la Coupe de l’Espoir, la consécration pour ce club grimpant de la 6ème à la 5ème division. Une épopée que cette finale disputée sur la belle pelouse de Saint-Geniez d’Olt digne d’un stade de France. En ce jour historique, 200 Saucliérois sont du voyage, tous revêtus du même tee-shirt, chantant à tue-tête l‘hymne local, accompagnés d’une bandas avec saxos, trompettes et trombones pour encourager la dream team du Larzac.  Sébastien l’affirme « on est partis avec tout ce que l’on avait. Ce fut une fête exceptionnelle, un des plus beaux moments de ma vie».

Le foot-clocher, c’est cela, cette union sacrée pour dépasser les rivalités, les clivages, les histoires de familles têtes dures comme la fontaine du village et sa coquille de grès. Loin des chicanes et des arcanes du District, à une galaxie du RAF et de la League 2 qui se foutent bien du foot de nos lointaines contrées en ces temps brumeux et comateux. Dans un village qui se bat pour garder son bar repris en 2014 par Nicole et Gilbert, qui a sauvé son épicerie, tenue près d’un demi-siècle par Maryse, la mère de Sébastien. Celui-ci l’affirme «un club de foot, ça tient debout un bistrot dans un village. Le foot, ça relie tout le monde».  De l’agriculteur qui fera cadeau d’une bête pour le méchoui annuel en mémoire de Daniel Atcher, de l’artisan du coin qui en sera de son petit chèque pour payer les maillots, des chasseurs qui, une fois la battue terminée, viennent donner un coup de main. Au temps des Ententes et des regroupements, le foot village est en résistance et en survivance, mais jusqu’à quand ?

Photographies réalisées à Sauclières, Nant, St Jean du Bruel, Le Caylar, L’Hospitalet du Larzac, St Georges de Luzençon, Creissels, Aguessac, Vezins, Le Vibal, Pont de Salars, Salles Curan, St Beauzély, La Cavalerie