IL FAUT ETRE LA DE NOUS-MEME

Depuis le 17 mars, le Millau Multi Boxes est au point mort. Le gala annuel a été annulé, les entraînements stoppés, les boxeurs se sont éparpillés, les plus motivés se préparant seuls avec des programmes en ligne. Mi-juillet, la belle salle du MMB a ré-ouvert ses portes. Rencontre avec Yoni Mazeau en pleine reprise après 4 ans à l’arrêt.

18h30, une chaleur de fonderie, un ciel laiteux crème de riz, quai du Tarn qui se consume comme une gitane, Yoni a garé sa caisse. Encore une grosse journée de boulot entre Bédarieux et Le Caylar. Lever 5 heures, la glacière dans le coffre, retour du chantier le soir dans la fureur d’un été tous brûleurs allumés. Déplier sa grande carcasse, sortir le sac puis longer le mur entre deux barrières, au sol une moquette verte poussiéreuse, au fond, adossé au mur, un vieux balai et deux pneus usagés et puis rentrer.

La salle, enfin, son silence, sa lumière, son odeur. Au fond, le ring  comme un corral dans l’attente de l’animal, à droite, les sacs ronds et ventrus, suspendus comme de gros jambons, derrière le ring, les pattes d’ours alignées comme des oreilles de cochon.

Depuis quelques jours, le Millau Multi Boxes a déverrouillé sa petite porte d’un noir goudron blindage coffre-fort pour une reprise des entraînements.

Cette salle est admirable, calée à l’aile gauche de la pépinière d’entreprise avec son petit côté loft post industriel, atelier d’autrefois avec ses larges et hautes fenêtres vitrées où la lumière s’invite sans se faire prier pour ricocher sur les murs où les slogans peints par Yep Production donnent le ton. C’est sans concession, ici, on est là pour bosser…mais pas que. Ca donne envie de vérifier.

Yoni Mazeau, le coach, l’ancien champion de France de kick-boxing n’est pas seul, il y a Mathilde et son papa Thierry et rejoint plus tardivement, par un vétéran, informaticien de métier, carrure poids walter de se dépiauter torse nu pour affronter la bordée de sacs en fond de salle, en rafales de gauche – droite et de crochets appuyés.

Yoni a repris l’entraînement après un arrêt de quatre ans, quelques kilos de trop et ce KO sur le ring du Trophée de l’Ephèbe à Agde, une revanche à prendre, un plat froid pas encore digéré. Ce K.O., le premier d’une longue carrière, l’affront, la déroute, le combat de trop «le combat pour de mauvaises raisons», pour quelques billets, précise le semi-pro de l’époque, enchaînant blessures sur blessures. Son corps renonce, son esprit s’enfonce, au bout des gants, y’a plus de réponses.

Sauf que pour un boxeur, le démon est toujours là, il rase les murs, il rôde dans les bas-fonds de sa conscience, il lèche le gras dans les ventres mous.

Il frappe parfois à la porte comme le voyageur de commerce avec son bagou et ses arguments qui semblent tenir debout. « Pourquoi j’avais envie de remonter sur le ring ? »….Yoni est direct dans sa réponse, il lève le bras gauche et dit «pour les dix secondes quand l’arbitre lève le bras. Le combat, y’a la peur. On va vers le ring, on se dit « mais là, je fais quoi ?

Là, c’est juré, c’est le dernier ». Et puis, il y a cette délivrance, cette puissance à contrer le jugement dernier, ce grand flash, ce reset mental qui efface les bleus et tous les maux encaissés.

Aujourd’hui, c’est donc entraînement cardio. Yoni, l’ancien break danseur au sein du collectif  MSB, met le son, du gros son pioché sur une chaîne youtube. La musique, c’est comme les gants, c’est une enveloppe corporelle, on ne s’en défait jamais tout à fait. Mathilde et Thierry le père se plient à la discipline, déjà pieds nus sur ce grand tatami.  Quelques échauffements et le maillot prend des allures de serpillère détrempée. Les basses résonnent dans la salle, Yoni, lui, garde un blouson pour fondre, 20 kg à perdre, il explique « 20 kg, c’est rien. Quand je dansais, je faisais 70 kg.

Et j’ai eu ma fille, très jeune, j’avais 19 ans. Et là, sans m’en rendre vraiment compte, je suis monté à 140 kg. Je m’occupais d’elle, je ne faisais plus de sport et en plus j’étais gourmand. J’étais rentré dans un mode de vie posée. Et j’ai eu une grosse remise en question avec l’envie de m’affirmer comme homme » pour reprendre le chemin de la salle, passant du karaté à la boxe en poussant la porte de la petite salle, à Gambetta, au fond d’une petite impasse, un mouchoir de poche, au parquet tremblotant.

Malgré la chaleur, la séance est intense, du 30»-30», Yoni s’arrache, Mathilde aussi, le papa dans la foulée, le trio cadencé. Puis c’est séance au sac pour lâcher et appuyer les coups. Les sacs se plient et prennent la raclée. Le jaune, il vient de Gambetta, 10 ans déjà qu’il se prend des tacles et des claques sans broncher, muet, muselé. Le front essuyé, Mathilde l’affirme «Yoni, c’est la bonne humeur mais c’est la rigueur. Moi, j’étais super timide. Et bien, sans me connaître, il m’a poussée à me surpasser pour donner le meilleur de moi-même», Thierry pas très loin de sa fifille d’ajouter «Yoni, c’est une personne attachante. C’est une main de fer et c’est cadeau. Sa façon de faire nous a plus».

Yoni se défend d’avoir construit le club tel qu’il s’impose aujourd’hui dans l’univers du sport millavois. Non, c’est l’affaire d’un groupe, des victoires accumulées tel le titre de champion de France de Jérémy Martini en kick-boxing à Givors en 2014. C’est l’affaire de tous, pour quitter Gambetta et s’installer ici dans cette salle respirante et inspirante. Yoni insiste «c’est un vrai projet de club. Ici, quand tu rentres, tu rentres dans un univers, c’est une vraie salle de boxe. On a tous participé à sa rénovation.

C’est tout le club qui contribue à sa progression».  Ainsi les verrous ont sauté pour que les jeunes, filles et vétérans s’invitent à frapper le cuir mou, gantés parfois casqués, 180 licenciés, un succès expliqué par l’esprit du club, Mathilde insiste « je pensais que c’était un sport individuel, mais la boxe, c’est aussi un sport collectif ». Et puis il y a eu l’effet Yoka et Mossely le couple paré d’or des J.O. de 2016, lui chez les Super-Lourds, elle chez les Légers, la bonne balance, sans oublier l’influence d’une Sarah Ouramhoune championne du monde en 2008 et médaillée d’argent au Brésil.

Mathilde en convient  «c’est un modèle. Pendant le confinement, j’ai suivi ses programmes de renforcement musculaire qu’elle diffusait sur Instagram ».

Le confinement justement, les gestes barrières justement, ces préconisations, ces interdictions qui, le 17 mars, ont mis les sports de combat un genou au sol. Pas KO compté mais KO sonné, les salles fermées, les sacs en jachère, plus personne dans les cordes, les rings en discorde, les boxeurs et boxeuses en sauve qui peut, retranché(es), ici dans une pièce sombre, là dans un coin de chambre, les meubles poussés, au mieux au fond du garage avec le manque qui s’installe, le manque de combat même s’il vous met le trouillomètre plus bas que zéro. En fin de séance, Yoni, le souffle retrouvé, la sueur perlée en rideau sur le front, raconte la mésaventure de Lydia Gil, la leader des féminines du MMB, triple championne du monde WTC, sur le ring depuis l’âge de 3 ans «on était arrivés à Paris pour le championnat de France. C’était le 8 mars. On était en place pour la pesée.

Et là, un quart d’heure plus tard, on apprend que le combat est annulé. Elle a très mal vécu cette annulation. Déjà que nous avions du mal à lui trouver des adversaires. Mais elle reste motivée».

Enfermée dans ses aspirations pour se libérer sur le ring et rentrer pourquoi pas dans le circuit très fermé des Glory ? C’est le grand rêve de Yoni Mazeau pour ses « Kickers». Il cite des noms, son pote Nicolas Wamba pour qui il fut sparring partner mais surtout Anissa Meksen, une légende, seulement 32 ans, des kilos de ceintures d’or sur les hanches en Kick-Boxing et en Muay Thai, championne du monde Glory en 2017. Yoni lâche cette phrase «Il faut juste être là de nous même et tout devient possible».

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