CEDRIC RAJADEL, DANS L’HYPER FOCUS DE LA VIE
Millavois d’adoption et converti caussenard, Cédric Rajadel est devenu l’un des grands spécialistes de l’hyper focus une technique photographique particulièrement adaptée à la photo naturaliste. Il se définit également comme écologiste farouche, témoin d’une nature d’une beauté fragile mais terriblement menacée. Il expose actuellement à Micropolis ainsi qu‘à la galerie le Salon à Millau.
Cette photo, c’est un petit conte de fée, une rencontre improbable. Laissez moi vous décrire ce tableau saisi le temps d’un battement de paupière. Plein cadre, de l’herbe moussue, comme un tapis de mèches frisottantes, comme de minuscules plumeaux tendrement irisés par une lumière naissante.
Posé comme une soucoupe volante, un escargot, coquille en spirale d’un nacre marron d’inde virant au jaune œil de faucon. Pas loin de l’apex, une brisure, un éclat, un accident de la vie ? Une imprudence ? Un piétinement impromptu ? Un coup de bec d’une grive assassine ? Allez savoir. Et puis ces deux antennes, dressées, aux aguets, deux tentacules surmontées de deux petits radars, ah pas bien efficaces, la nature est injuste…saloperie de myopie…pour glisser ainsi dans la lenteur d’une matinée fraîche.
Et puis délicatement posée sur cette coquille, une mouche aux ailes soyeuses, veineuses, deux petits vitraux où le rose et le bleu tendre s’échappent délicatement comme un coup de pinceau léger. Rencontre fragile, futile. La mouche et l’escargot…pour se dire quoi ? «Et toi, ça va ?»…«Tu pourrais dire au moins bonjour, je ne suis pas ton chez toi»…bon, allez, tu m’emmènes où ?». La mouche blabla car posée comme sur le toit d’une vieille aronde d’autrefois !!!
Cette photo invite à la rêverie, au conte léger mais savant, aux jeux de rôle, à se sentir l’un ou l’autre, à fondre dans le fragile, dans l’infiniment petit. Sentir le froid, la rosée et glisser lennnntemennnnt en respirer lennnntemennnnt ou bien s’envoler après cette petite pause, ces quelques mots échangés sur la croupe de ce petit limaçon un peu fainéant, trouillard et peureux.
Cédric Rajadel est l’auteur de cette image prise dans la vallée de la Dourbie, un matin de novembre, les premiers frimas, premiers éclats d’une rosée revigorante. Pour définir son œuvre, il brouille les cartes en apportant cette précision fort peu prosaïque ni plastique «c’est une peinture numérique». C’est un peu sec, un peu mathématique, un peu pixel au lieu d’être pastel. Puis il prend le temps d’un silence, avec le désir d’en dire plus. Est-ce de la timidité ? Un manque d’assurance ? L’intime est parfois complexe à exprimer, il papillonne des cils comme s’il cherchait à essuyer les gouttelettes de givre brouillant parfois la vie et lâche «ça me rappelle Noël, c’est comme de la mousse que l’on met au pied du sapin» puis il ajoute «je suis toujours surpris de ce que peuvent provoquer mes photographies. Elles parlent aux gens». Puis il ose enfin utiliser le mot si difficile à prononcer pour un photographe naturellement introverti «est-ce une œuvre d’art ?». Il a besoin d’un exemple pour justifier l’usage de ce qualificatif «la sophrologue Chantal Blain utilise certaines de mes photos en thérapie. Elle raconte l’histoire de cette femme ayant surmonté trois cancers. La photo représente trois fleurs d’anémone pulsatille de Coste perlées de rosée. Cette personne de commenter «là, c’est moi. C’est moi qui me relève de mon cancer». En cela, ce sont des œuvres d’art car ce qui est ressenti me dépasse».
Cédric Rajadel est bien un artiste. Son atelier ? La nature, pas bien loin de chez lui, à deux, trois coups de pédale. Ses jardins secrets ? Lapanouse de Cernon, sur les premiers contreforts du Larzac, une fois passée l’ancienne voie ferrée et la vieille gare enfumée, délabrée. Tiergues également et sa pelouse où les orchidées s’évadent en sarabande, les prairies de Nant, Le Clapier et sa station d’observation de l’Orchys Papillon, le Rajal del Gorp pour observer l’Aster des Alpes, une espèce endémique dans les Cévennes où parfois la collenbolle vient jouer à cache-cache. La taille de ce minuscule hexapode, 2 à 3 millimètres, sa couleur, un jaune soyeux. Il n’en faut pas plus pour que Cédric, formé à la prise de vue cinéma, rentre en transe. Il l’avoue avec franchise «c’est obsessionnel».
Avec Cédric Rajadel, nous entrons dans le royaume du fragile, du petit, parfois de l’infiniment petit mais beau, ce que l’œil ne voit pas nécessairement, à moins d’être un naturaliste affirmé, sourcils froncés, l’œil rivé à l’Emoscope comme le botaniste Christian Bernard, le chaperon du photographe pour découvrir l’univers dévorant des orchidées. Ce qu’il cherche ? Le puceron invisible, la syrphre se lovant dans le cœur tendre de la rose sauvage, les sticks Insects, les larves trouvant refuge les jours de pluie dans le délavé de l’Ophrys de l’Aveyron, les mouches folles, l’Empuse si fine mais d’une élégance folle dingue. Et pourquoi pas la mouche bleue, la tique, ces bestioles détestées, chahutées et pourchassées. Plus gros encore, le Machaon, flamboyant papillon symbole de la symétrie. Et puis des rencontres inattendues comme ce scorpion s’invitant dans sa salle de bain. Il l’exprime ainsi «il y a toujours du beau à photographier». Comme ces ailes de papillons ciselées d’une justesse infinie, de mille chevrons, nervures, d’écailles, d’ornements, comme des accents circonflexes pour s’interroger sur la beauté complexe de la nature.
Pour arriver à capter une telle richesse de détails, Cédric Rajadel s’est formé à une technique photographique peu connue, l’Hyper Focus dont le maître incontesté est le naturaliste Philippe Martin auprès duquel, en 2012, à l’occasion d’un stage pour devenir médiateur culturel, il se découvre une passion cachée. Il était bien un peu cinéaste, un peu photographe, l’œil formé au cadrage, un père lui-même passionné de photo qui lui céde son vieux boîtier pour débuter, un solide et inusable Olympus OM2 fabriqué fin des années soixante dix. Mais comme en toute chose, ce n’est pas toujours l’outil l’important, c’est de prime abord, la passion.
Au contact de Philippe Martin, Cédric, parisien d’origine, grandi à Brunoy dans l’Essonne, le dos à une barre d’immeuble et les yeux sur le terrain de foot de la cité, prend enfin le grand large sur ces terres caussenardes. Son petit paradis. Emboîtons quelques instants son grand pas, allez…direction Lapanouse de Cernon, il raconte «en arrivant, j’ai de suite le regard sur les hautes herbes, sur les papillons qui dorment. J’avance lentement, à découvert. La température doit être fraîche». Le boîtier est déjà monté sur le trépied, les ISO calés sur 200, l’obturateur à 3,2 et la vitesse à 1/60 voire un peu plus, Cédric l‘affirme «il ne faut pas que ça bouge». Lorsque la «proie» est à vue, le photo-naturaliste s’engage. Souffle ralenti, rythme cardiaque contrôlé, il déclenche, jusqu’à 80 – 100 photos en moins de 10 secondes, la main sur la bague de l’optique qu’il tourne avec lenteur et minutie pour capter toute la profondeur de champ. Puis dans son chez moi, intervient le travail de l’ombre, ce traitement en post-production pour empiler les clichés, une opération délicate, fastidieuse, parfois 10 heures le nez sur l’écran, minutieuse à l’excès, pour que cent ne devienne qu’un. Le résultat est tout juste saisissant, celui d’une image composite, des détails à l’infini, la nature dans sa plus belle alchimie, des cadrages spectaculaires sur une fleur, sur ses invités surprises pourvoyeurs d’émotions. Il affirme «c’est la liberté de jouer avec la profondeur de champ» pour trouver le point net comme une obsession de l’absolu, le décryptage du réel.
Aujourd’hui, Cédric Rajadel n’est plus à cloche-pied. Oser s’affranchir pour s’épanouir, le photographe vit désormais de son art, un projet de vie familial encore précaire mais assumé, un projet de vie engagé « je suis un écologiste farouche ». Pas encarté mais juste et grand observateur, témoin d’une nature en sursis, Cédric est un passeur «je peux parler de la fragilité du monde nous entourant. Mais les images parlent d’elles-mêmes. Pour dire que c’est beau mais fragile». Il se retourne pour pointer du doigt une image, une toile représentant une orchidée tête de singe. Elle évoque la panthère rose. Mais il y a de quoi hésiter. S’agit-il d’une main aux doigts crochus ou d’une langue aux ramifications fourchues. A embrasser ou à enserrer pour se laisser glisser dans l’hyper focus de la vie ?
. Cédric Rajadel expose actuellement à la galerie le Salon – 25 rue Antoine Guy – Millauainsi qu’à Micropolis, la cité des insectes – St Léon
. Il est également l’illustrateur photographique du livre « Hyper Nature » réalisé par son mentor le naturaliste Philippe Martin