LA CERISE BIO SUR LE GATEAU

La mouche Drosphila Suzukii fait des ravages dans les vergers de la vallée du Tarn fragilisant les producteurs de cerises notamment. L’APABA conduit actuellement une expérimentation pour trouver des alternatives aux modes de production traditionnelles. Enquêtes.

Mercredi jour de marché, quelques lèves tôt, le cabas, le panier à la main, Jean Louis devant ses bons pains à faire goûter sa fouace orée à point. Même de si bon matin, personne ne refuse ce petit triangle tendre, cette petite douceur fondante sous le palais, la croûte légèrement craquante, le sucre subtilement crépitant.

Devant lui, les fromages du Truel sont déjà sous cloches, plus loin à droite, pas très loin du grand Christ, l’étalage de Loïc Almeras, des légumes, des asperges, de la saucisse sèche, de la charcuterie sous vide et des cerises.  Une cliente se charge d’une pièce de viande précommandée et, la veinarde…, elle achète les dernières asperges.

Loïc est maraîcher, arboriculteur dans la vallée du Tarn mais aussi éleveur et restaurateur à La Tindelle sur le Causse Noir. A chacun, chacune de ses clients, clientes bien matinaux, achetant une barquette de cerises, il tend un petit papier. Un questionnaire est à remplir, cinq cases à cocher, l’une d’entre elle « les traces blanches sont-elles un frein à l’achat ? ».

Depuis le début de l’année, Loïc Alméras est entré dans une phase expérimentale pour sa production de cerises et arbres fruitiers sur son domaine de Pailhas.  C’était l’homme de la situation désireux d’orienter toute son exploitation vers le bio. Le convaincre fut des plus faciles pour Alain Pouvreau l’administrateur de l’APABA et pour la technicienne Nathalie Ratière en charge d’un dossier épineux.

Car dans la vallée du Tarn comptant 60 arboriculteurs produisant sur un peu moins de 200 hectares l’équivalent par saison de 300 tonnes de cerises et autant en mirabelles, l’utilisation des produits phytosanitaires pour lutter notamment contre la mouche Drosphila Suzukii, est devenue un sujet sensible, source de conflits entre riverains et producteurs avec au centre la mobilisation de l’association écologiste Les Coquelicots.

Pour réfléchir à l’avenir de cette production et trouver des scénarios de sortie de crise, un premier GIEE est créé regroupant 23 professionnels engagés à titres divers dans la filière. Joël Thomas, animateur de territoire dans le Sud Aveyron conduit ce projet. Premier résultat, une prise de conscience, une réflexion commune et la sortie d’une étude balayant un ensemble de solutions possibles comme le passage en AB, la diminution de l’utilisation des produits phytosanitaires, la diversification fruitière (kiwis, kaki), le maraîchage, la création d’un label, d’une AOP « fruits de coteaux » ou bien encore les opportunités de transformation pour offrir une nouvelle valeur ajoutée au fruit. Quant à l’installation de filets protecteurs, c’est à peine si cette mesure est évoquée compte tenu de son coût et de la technicité des terrains en pente dans la vallée soit 50 000 à 60 000 euros d’investissement à l’hectare.

Mais la pression s’intensifie, Joël Thomas dresse un rapide constat d’urgence  « il faut arrêter de faire la guerre, il faut changer les choses ». Pour cela, il se rapproche de l’APABA, traduisez Association pour la Promotion de  l’Agriculture Biologique en Aveyron, 30 ans cette année, à militer pour conduire les exploitants à s’orienter vers des productions respectant la nature. Alain Pouvreau s’empare du dossier «nous ne pouvions pas refuser ce projet, déjà dans un premier temps pour faire tomber la pression de ce conflit».

L’APABA désigne Nathalie Ratière l’une des sept techniciens – techniciennes pour suivre cette mission. Cette vendéenne formée au premier lycée agricole bio puis à la coopérative La Cavale se forge une conviction, produire en respectant la nature pour le bien de cette terre nourricière et la santé de tous. Au sein de l’APABA qu’elle intègre il y a 9 ans, elle fait ses armes notamment dans les vignobles de Marcillac et Conques et plus loin dans la vallée de la Truyère comme chez Pauline Broca sur les coteaux du Fel. Elle expérimente ainsi au sein d’un GIEE la rénovation des terrasses, l’utilisation des engrais verts pour les sols, alternative au glyphosate la mise en place de nouvelles haies autour des vignobles  et même l’installation de ruches. Ses convictions sont finalement simples «tout part du sol. Si le sol est mort, il faut le faire revivre, le rendre à nouveau vivant. Ainsi l’arbre sera plus fort. C’est la logique de la nature».

Ainsi nait dans la vallée du Tarn un second GIEE. Elle espérait accueillir 5 arboriculteurs, 15 sonnent à sa porte pour intégrer ce champ de formation, de réflexion collective et d’expérimentation. Un premier succès en soi, elle explique «j’ai découvert des producteurs qui étaient à l’écoute, qu’il s’agissait plus d’une méconnaissance qu’une volonté de ne pas faire les choses» le tout avec une pédagogie simple «je ne vais pas me mettre à votre place. Vous êtes maître chez vous. Moi, je propose et vous, vous prenez ou non». En avançant tout doucement, ne pas brusquer, ne pas braquer, expliquer clairement sans juger en desserrer les écrous cran par cran, surtout, ne pas gripper le pas de vis, le but avoué réapprendre à respecter le sol, l’arbre et le fruit.

Partir du concret…c’est là que Loïc Alméras rentre dans la danse. Son verger est choisi comme base d’expérimentation. L’objectif de cette phase 1 : à court terme, poser des bases statistiques sur les problématiques liées à la présence de cette mouche asiatique dévastatrice, un fléau ayant contraint les arboriculteurs locaux à recourir à ces organophosphorés dont la dangerosité n’est plus à démontrer. Un verger non traité est également choisi sur la commune de La Cresse pour compléter l’observation de terrain.

Ainsi chaque lundi, Nathalie Ratière prend son panier pour récolter 500 cerises dont 100 sur la parcelle test et 200 chez Loïc Alméras, les cerisiers traités pour moitié au talc et le reste à l’ail. Le lendemain, les fruits rouges sont découpés pour comptabiliser les cerises contaminées par un ver particulièrement vorace, jusqu’à 60% dans le verger test sans traitement. La technicienne d’ajouter avec un brin d’humour pour dédramatiser la situation «avec les bonnes, on fait des clafoutis…».

Il faut laisser le temps au temps, la formule est bien connue, l‘APABA se donne cinq ans pour créer un courant et orienter une partie de la production locale vers des pratiques plus respectueuses et moins dépendantes de l’utilisation des produits phytosanitaires de synthèse. Un vrai défi, un équilibre délicat à trouver entre prise de risque technique et sécurité financière dans un contexte de production fragilisée par les caprices potentiels du climat comme en 2017 avec un gel féroce anéantissant la production.

Les arboriculteurs locaux ont donc un pied sur l’échelle pour construire un nouveau futur. Les questions sont multiples, comment conjuguer la rentabilité d’une production ? Comment faire face à la concurrence des productions espagnoles ? Comment résister à la pression sociale des groupes contestataires ? Rester prudent ou bien choisir une stratégie de rupture ?

Loïc Alméras est donc pionnier, inscrit dans une démarche d’avenir, en rupture avec le conventionnel tout en diversifiant son activité. Bientôt, il sera rejoint par ses deux fils pour développer l’exploitation, réussir sa conversion en AB et travailler les circuits courts, un avenir qui se compose comme une pièce montée. Et là, plus que jamais, tout sera question d’équilibre, la cerise bio au sommet du gâteau….!

GIEE : Groupement d’Intérêt Economique et Envrionnemental

A lire également le portrait de Loïc Alméras 

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