Le gaz hilarant, une nouvelle drogue à surveiller

L’usage du gaz protoxyde d’azote n’est encore que timide dans l’Aveyron, et cette nouvelle drogue, souvent désignée comme gaz hilarant, s’avère très méconnue. Trois étudiantes en BTS à la Cazotte à Saint Affrique ont bâti un projet pour sensibiliser les élèves du lycée aux dangers de ces capsules de gaz, avec l’aide du formateur anti-drogue de la gendarmerie de l’Aveyron, habitué à délivrer un message de prévention sur les addictions, en particulier au cannabis.

Ce n’est pas à franchement parler une nouveauté, le gaz protoxyde d’azote existe depuis les années 90. Mais depuis 2 ou 3 ans, il est redevenu « à la mode » parmi les jeunes. A la recherche de son fameux effet « hilarant », celui qui provoque des rires incontrôlables, un sentiment euphorique comparable à l’ivresse, des modifications de la voix, de la vision…

Une montée en charge qui n’a pas échappé à Cascendra Barthe, originaire de Montpellier, et étudiante en BTS à la Cazotte, qui explique : « Le proto est de plus en plus présent autour de nous. Moi, j’avais des connaissances qui en consommaient. Et surtout sur mes réseaux sociaux, je voyais énormément de propositions de ventes de cartouches. Souvent avec une bouteille d’alcool.»

Elle avait aussi suivi les sujets réalisés par les sites d’infos jeunes comme BRUT et KONBINI, témoignant des dégâts provoqués par ces cartouches de gaz. Et Cascendra, originaire de Montpellier, comme Mathilde Apell, qui vient de Strasbourg, n’avait pas manqué de constater que dans les rues de ces villes, se retrouvent très souvent au sol des cartouches vides abandonnées, ainsi que les ballons de baudruche utilisées pour aspirer le gaz.

Sur la lancée, Cascendra, Mathilde et Thaïs Guiraud réalisaient un deuxième constat très intéressant : « On s’est rendus compte que pendant toute notre scolarité, nous n’avions pas eu de sensibilisation sur cette drogue-là. Alors qu’on est sensibilisées depuis toujours sur l’alcool et le cannabis. »

D’autant qu’une enquête menée par le trio auprès des lycéens, anonymement, leur avait livré quelques indicateurs précieux : 86% connaissaient le gaz proto, 22% connaissaient des gens qui consomment, 6% avouaient avoir déjà utilisé du gaz proto. Et moins de la moitié admettaient connaître les risques de ce produit.

D’où l’idée pour ces trois jeunes filles de lancer une matinée d’information destinée aux terminales de la Cazotte, dans le cadre de leur projet de fin de scolarité. Avec l’ambition d’apporter à ces lycéens des infos précises tant au niveau des effets négatifs sur la santé que sur les conséquences sur le plan judiciaire.

Une maman témoigne sur la mort de son fils de 19 ans

Le pugnace trio a ainsi pris son bâton de pèlerin pour réunir des interlocuteurs capables d’éclairer les jeunes lycéens sur ces divers aspects. Et sur le plan des conséquences sanitaires, le trio a su convaincre deux interlocutrices de choix. Célia Sirvin de l’ANPAA, association de prévention en alcoologie et addictologie, a pu expliciter, en distanciel, les risques d’une telle consommation, et Nadine Grosdidier, du Nord de la France, a accepté de témoigner dans une interview sur la tragédie vécue par le décès de Yohan, son fils de 19 ans, victime d’une crise cardiaque après l’absorption du gaz d’un nettoyant pour ordinateur à travers un ballon de baudruche, probablement car une telle cartouche contenait du butane et propane.

En préparant ces témoignages, ces trois étudiantes ont pleinement pris la mesure des dangers, entre pertes de connaissance, brûlures par le froid, risques de chutes et vertiges, et sur le long terme, anémie, carences en vitamines B12, troubles psychiques, atteintes moëlle épinière, et crises cardiaques.

Une menace accrue par la tendance à enchaîner l’absorption du gaz car l’effet obtenu s’avère en réalité très fugitif, d’environ 3 secondes seulement. D’où la tentation de renouveler l’expérience à gogo. Avec à la clef, une moyenne de 20 à 40 cartouches dans une soirée, même si un sujet diffusé sur Konbini en septembre 2020 présentait une jeune femme qui avouait un chiffre de 400 par soir ! 

Selon Cascendra et Thaïs, l’usage premier s’effectue en boîte de nuit, car la cartouche se transporte tellement facilement dans une sacoche, mais Thaïs a eu la surprise de recevoir des témoignages intéressants après avoir diffusé des photos de ce projet via son réseau Snapchat : « Des amis d’Alsace m’ont contactée pour me dire qu’ils en consommaient au lycée, à l’internat. Car il n’y a pas d’odeur, pas de bruit, c’est indétectable, et l’effet ne dure pas longtemps. »

S’ajoute aussi bien sûr la facilité à acquérir ces cartouches, en vente libre chez les commerçants, pour la recharge des bombes de Chantilly, ou pour les bombes de nettoyage des ordinateurs, pour des sommes qui varient entre 3 et 8 euros.

Un produit très accessible et peu de sanctions

Sans aucune restriction pour le moment. C’est l’information qu’a pu livrer l’adjudant Eric Antoine, qui intervenait en sa qualité de Formateur Relais Anti-Drogue pour le groupement de Rodez. Cette fonction qu’il assume depuis 2013 l’amène au contact des collégiens de 4ème et 3ème pour un rôle de prévention sur les addictions, sur le thème tabac-alcool-cannabis. A raison de 20 à 30 interventions par an d’une durée de 3 heures (réduite à 2 heures par la crise sanitaire).

Toutefois, au lycée de la Cazotte, c’était la première fois qu’il abordait le thème du gaz proto, qui apparaît, pour le moment, quelque peu méconnu en Aveyron. Même si Eric Antoine a pu noter qu’environ 5 à 6 lycéens sur une soixantaine avaient levé le doigt à la question de savoir s’ils étaient utilisateurs du produit.

Et l’adjudant en conclut très simplement : « Ils disent qu’ils ont simplement essayé. C’est pareil quand je questionne sur le cannabis. En tout cas, cela veut dire que le produit n’est pas loin ! On en a proposé à ceux qui ont déjà goûté. Et ceux qui n’ont pas encore goûté, on peut dire qu’ils ne sont pas loin du produit. Il circule. »

Dans un contexte très particulier pour le gaz proto : son achat n’est pas interdit même si le produit est ensuite détourné de son usage normal. Avec à très court terme, une interdiction de vente aux mineurs, si le projet de loi porté par la sénatrice Valérie Létard depuis décembre 2019 est enfin adopté, par l’Assemblée Nationale.

A ce jour, l’arsenal juridique s’appuie surtout sur l’interdiction de consommation sur la voie publique que peut adopter une mairie, à l’instar de Montpellier ou Lille. Un tel arrêté, validé par la Préfecture, débouche alors sur une infraction de 1ère classe avec amende de 38 euros.

Autre sanction encourue par le consommateur qui jette au sol sa capsule vide et le ballon de baudruche : une amende pour pollution avec le risque d’une amende de 135 euros.

Mais le plus gros risque est celui de la mise en danger de la vie d’autrui. Comme l’explique Eric Antoine : « Dans une soirée, s’il y a un problème, le majeur qui a fournit le gaz à un mineur peut être inquiété pour la mise en danger d’autrui. C’est exactement pareil pour l’alcool.» L’amende peut alors s’élever à 7500 euros.

Le gendarme sensibilise les jeunes aux risques sur leur casier judiciaire

Un élément qu’il ne manque pas de souligner dans ses interventions habituelles auprès des collégiens, même s’il avoue que dans la trilogie alcool-tabac-cannabis, c’est toujours le cannabis qui suscite le plus d’intérêt chez ces jeunes de 14-15 ans.

En huit ans, cet homme enthousiaste a bien rôdé son discours : « Mon but est de les dissuader. J’essaie de les intéresser sans leur donner envie. J’utilise beaucoup d’exemples vécus par mon métier de gendarme, des accidents, des gens côtoyés, les effets sur le comportement. J’insiste sur le casier judiciaire. Ils croient qu’à 18 ans, tout s’efface. Mais si à 17 ans, ils veulent passer le BAFA, ils ne pourront pas s’ils ont un casier. L’usage de stups est inscrit sur casier. Il y a 136 métiers qu’on ne peut pas exercer avec un casier judiciaire qui n’est pas vierge. Je leur dis Pensez-y ! Pour qu’à la fin, ils se disent Ca ne vaut pas le coup. Si j’ai réussi ça, j’ai gagné ! »

Ce travail de prévention s’inscrit dans une logique qu’explicite le capitaine Yvan Robles, officier communication de la gendarmerie de l’Aveyron : « Quand on fait tomber un réseau, petit ou grand, un autre se met en place dans les 15 jours qui suivent. Car il y a toujours une demande. Dans une classe de 30 élèves, il peut y en avoir 10 qui consomment. Le fait de parler aux jeunes sur les risques peut avoir un impact. Ceux qui seraient tentés peuvent se dire qu’ils risquent gros. Si 5-6 jeunes n’y touchent pas, le pari est gagné. Le FRAD a fait son boulot. Il a dit à ceux qui consomment attention vous risquez ça. Et ceux qui voulaient y aller, ils ne vont pas y aller. Parler à des populations jeunes, c’est bien, ils sont en 3ème, ils ont encore un long cursus derrière. S’ils veulent avoir des métiers ambitieux, il faut qu’ils réfléchissent bien avant de franchir le pas du mauvais côté. »

Et Yvan Robles de rappeler que cette mission information fait partie à part entière des missions de la gendarmerie : « Nous avons deux casquettes. Le FRAD est là pour faire de la prévention auprès des jeunes. Et notre rôle, c’est aussi de verbaliser les infractions. Les trois compagnies de l’Aveyron assument le volet répressif. Il intègre aussi la communication qui sert à dire aux gens qui ont consommé, cultivé, offert, cédé du cannabis, qu’ils seront sanctionnés. Faites attention. » Avec à la clef pour le cannabis, la possibilité d’un an de prison et 3750 euros d’amende.

Depuis quelques mois, en Aveyron, comme dans toute la France, s’applique la nouvelle réglementation qui prévoit une amende forfaitaire de 200 euros, pour une première infraction d’un consommateur non connu des forces de l’ordre. Un allègement majeur pour désengorger les services d’enquête de police et gendarmerie et la justice, et que salue le Capitaine Michel Haupaix, adjoint au commandant de la gendarmerie de Rodez.

Les drogues mais aussi les dérives sur internet, autant de dangers pour les jeunes

D’autant que ces deux dernières années, le contexte de l’usage de la drogue a évolué en Aveyron. Michel Haupaix en veut pour preuve deux affaires. La découverte dans un village proche de Rodez d’un appartement entièrement dédié à la culture du cannabis : « C’est habituel à Toulouse. Dans l’Aveyron, il y a souvent des plans dehors, mais c’était la première fois en indoor.» Et une prise très inhabituelle, fin 2019, celle de crack, jusqu’alors jamais été détecté dans le département.

L’Aveyron n’est pas préservée, on le savait déjà, ectasy, héroïne, cocaïne y circulent depuis quelques années, à la faveur de prix en baisse depuis quelques années. Avec tout de même une petite accalmie, celle provoquée par la crise sanitaire. Les restrictions de déplacements imposées ont perturbé les personnes se rendant habituellement en Espagne pour leurs achats. Mais comme le conclut Michel Haupaix : « La crise sanitaire a eu un impact positif sur la délinquance. En contrepartie, il y a eu une augmentation des problèmes dans la sphère familiale. » Sans oublier aussi le développement des affaires liées aux dérives d’internet, avec des jeunes filles naïves qui se dévêtent et se voient ensuite réclamer une rançon pour faire disparaître ces images trop explicites…

  • Texte : Odile Baudrier
  • Photos : Shutterstock