LES MILLAVOIS EN EXIL

BENOIT COMBEMALE, DE MILLAU A RENNES GRACE A L’INFORMATIQUE

La jeunesse de Benoît Combemale à Millau ne le prédestinait pas à devenir le professeur d’université et chercheur qu’il est devenu à Rennes après une thèse de doctorat dans le domaine du génie logiciel. Mais sa passion pour l’informatique, découverte lors de ses études universitaires, a modelé sa vie. A 39 ans, il compte déjà plus de 150 publications, essentiellement en anglais, et les projets ne manquent pas. Y compris celui de revenir un jour vivre à Millau !  

Vous voilà de retour à Millau pour la période de Noël. Revenez-vous régulièrement ?

Pour Noël et l’été, au minimum. Ma femme, Véronique Thelen, originaire du Larzac et les enfants reviennent une fois de plus, au printemps ou aux vacances de Toussaint. C’est le retour dans la famille. Et dans la ville où on a tous nos amis. C’est un peu le centre névralgique pour retrouver tout le monde.

Quelle est votre profession actuelle ?

Je suis professeur d’Université à Rennes, enseignant chercheur, je fais des travaux de recherche dans le domaine du génie logiciel. Je forme de jeunes doctorants à la recherche. Et j’enseigne aussi dans une école d’ingénieurs associée à l’Université de Rennes, à visée industrielle. Je mène donc des travaux de recherche à visée plutôt académique, et des formations professionnelles.

Quel a été votre parcours scolaire pour arriver à une thèse de doctorat obtenue en 2008 ?

J’ai fait mes études à Millau jusqu’au bac. J’avoue que j’ai plus de souvenirs des moments passés avec les copains que du travail fourni à l’école ! Puis je suis parti à Toulouse, sur des cursus universitaires mais plutôt professionnalisants, me permettant à tout moment de pouvoir aller travailler ou de les mener en alternance. J’ai fait un IUT, un IUP, et au gré des rencontres, j’ai décidé d’aller vers la recherche. J’ai fait un DEA, qui correspond maintenant à un Master. Puis la Thèse.

Pourquoi choisir un cursus professionnalisant ? Pour pouvoir vous arrêter à tout moment ?

Oui. Déjà je ne connaissais rien à la recherche, je ne connaissais pas du tout le milieu académique, je ne m’étais même jamais posé la question. Avec des parents entrepreneurs, pour moi, j’allais forcément travailler dans le privé. Et comme je n’avais pas été super doué jusqu’au bac, je me disais qu’à tout moment, je pouvais atteindre mes limites, et devoir aller travailler. Mais finalement, on se rend compte qu’entre les études jusqu’au bac, qui sont très polyvalentes, très diversifiées, avec des matières qu’on n’aime pas forcément, et qui se mêlent avec beaucoup de sorties avec les copains, c’est très différent quand on arrive à l’université, où on est très focalisés sur sa matière. Moi, j’ai eu une chance inouïe, de trouver, un peu par hasard, la matière qui m’a vraiment plu et que j’exerce encore maintenant, 20 ans après. Cela a été vraiment le hasard. Il fallait trouver une discipline, on a fini sur l’informatique. C’était réfléchi, mais je n’en avais pas fait avant, personne dans la famille n’en faisait. J’ai eu cette chance de trouver d’un seul coup la discipline qui m’a passionné. Et je suis passé d’un coup d’un niveau juste moyen à major de l’IUT, major de l’IUP, puis la bourse pour préparer ma thèse. Les études universitaires se sont déroulées d’une manière plus tranquille. A chaque fois, les opportunités se sont enchaînées les unes après les autres jusqu’à la thèse.

Vous parlez de hasard. A l’époque, sauf erreur, même dans la filière S, on n’apprenait pas d’informatique à l’école, on l’utilisait seulement ?

Même pas. On ne manipulait pas d’ordinateur au lycée. Mais j’avais eu la chance que pour le Noël de mon bac, mes parents m’offrent un ordinateur. Quelques mois plus tard, il a fallu trouver quoi faire après le bac. Et l’informatique, au moins, c’était nouveau ! je n’étais pas super fan du reste. L’informatique, c’est des maths appliquées, c’est ce qui me plaisait : on savait pourquoi on les faisait, on ne faisait pas juste des équations pour les manipuler.

Ces études ont-elles été intenses ?

Oui, on a beaucoup travaillé ma femme et moi. Mais très vite, sur des sujets qu’on a choisis. Plus on se spécialise, plus on ne fait que de l’informatique. La thèse, c’est carrément un sujet qu’on a choisi soi-même. On a beaucoup travaillé mais sur un sujet choisi. C’est encore aujourd’hui le cas dans mon travail. Je fais ce que je veux, sur les sujets que je veux. Et ce que j’ai obtenu par ces années universitaires, c’est la liberté ! Il n’y a que moi qui choisit mon sujet. Et ça n’a pas de prix.

Le monde de la recherche est-il un monde difficile ?

C’est un monde où on a la chance de faire le métier qu’on veut. Déjà, entre ma femme (qui est spécialisée en économie) et moi, on n’exerce pas notre métier de la même manière. On a cette liberté-là. Il y a ceux qui vont faire plus d’enseignement, travailler sur les formations des étudiants… et il y a ceux qui sont plus tournés vers la recherche. Là, c’est difficile, car c’est une compétition internationale. Il faut jouer au niveau international car sinon, cela a moins d’impact. Il faut se donner à fond, mais comme dans tous les métiers.

Comment s’est passée votre nomination au poste d’enseignant chercheur après votre thèse obtenue en 2008 ?

D’abord, j’ai eu un poste de doctorant pendant 1 an. Puis j’ai eu la chance en 2009 d’avoir un poste de maître de conférences. Ensuite une habilitation à diriger des recherches, qui est le dernier diplôme qu’on peut passer en France, obtenu en 2015. Et en 2017, j’ai été nommé professeur des Universités.

Au final, un parcours assez rapide ?

Oui, assez rapide, mais pas extraordinaire en informatique. Il y a des disciplines, en sciences humaines, où ce n’est jamais le cas. Mais nous, en informatique, c’est rapide mais pas exceptionnel. Il n’y a pas de génisme derrière tout ça ! Juste du travail et de la passion…

Quel peut être votre avenir professionnel maintenant ?

A l’université, il n’y a pas d’autre poste après celui de professeur des Universités. Mais j’ai encore beaucoup de progression possible dans les grades. Surtout, la chance qu’on a à l’Université est de pouvoir être détaché. J’ai déjà été détaché pendant trois ans à l’IRISA, pour être complètement chercheur. Dans le futur, je peux obtenir des périodes où je deviens seulement chercheur sans enseignement. Et il y a aussi plein de possibilités de travailler avec l’industrie, et nos partenaires industriels. Soit monter des starts up. Soit prendre des directions R et D dans une entreprise. Actuellement, je développe des expertises dans des entreprises. Je peux avoir cette fonction, de répandre la bonne parole des travaux de recherche. Tout en étant professeur d’Université, il est possible de faire plein de choses. Et surtout, ce qu’on recherche en tant que chercheur, c’est d’avoir de l’impact. En fait, on n’en a jamais assez. Alors, il restera toujours du travail à faire…

Actuellement, sur quel thème majeur travaillez-vous, en espérant qu’il ait beaucoup d’impact ?

En génie logiciels, on travaille sur des systèmes complexes, où le logiciel aide d’autres ingénieries. Des systèmes type avioning, smart city, farming, internet des objets, qui mêlent à la fois un système physique et un système logiciel. Il y a aussi intérêt à faire des progrès sur la transition énergétique. On travaille énormément sur ces systèmes qui demain, j’espère, pourront nous aider à faire de l’agriculture de précision, pour utiliser moins d’eau, faire des villes plus agréables mais moins polluantes. On sent bien qu’on peut avoir de l’impact dans ce domaine, changement climatique, transition énergétique…

Ce parcours a-t-il comporté des rencontres déterminantes ?

Il y en a eu plusieurs. Déjà dès Millau. J’avoue que je n’étais pas très studieux, mais en toute dernière année, au Lycée, il y a eu un prof de maths, qui m’a vraiment donné l’amour de la matière, et m’a permis d’avoir le bac sans trop de difficultés, alors que ce n’était pas très sûr. Cela m’a donné l’opportunité de continuer. Ensuite, quand je suis arrivé au DEA, il y a eu une rencontre avec un enseignant-chercheur, j’avais envie de travailler avec lui, il m’a conseillé de faire une thèse. J’ai découvert la recherche, et j’ai pu passer ma thèse dans un environnement magnifique. Ensuite aujourd’hui, si ma carrière s’est déroulée comme ça, c’est grâce à des rencontres humaines, de collègues, surtout à l’étranger. Avec une grosse collaboration, suivie par une relation amicale, avec un prof aux Etats Unis. Puis un deuxième collègue à Montréal. Tous les deux m’ont permis de construire ma carrière, de publier mes travaux.

Vous évoquiez vos amis que vous retrouvez lors de vos retours à Millau. Ces amis sont-ils ceux de votre jeunesse ?  

On a fait toute notre jeunesse ensemble, on a fait les 400 coups ensemble. On est vraiment restés un groupe d’amis. On s’appelle la Bande. Et c’est la même bande aujourd’hui que ce qu’elle était pendant notre collège et lycée. Elle avait démarré à l’école, aux Lauriers Roses et au collège, Jeanne d’Arc, au gré des rencontres. C’est environ 10-15 personnes. Surtout des garçons.

Et vous vous suivez depuis cette période ?

Oui. On se revoit tout le temps. On s’appelle tout le temps. Les parrains-marraines de nos enfants sont nos amis. On sait que Millau est le centre névralgique, où on se voit tous les Noëls et tous les étés. Et en plus, on se voit au gré des naissances, des mariages.

Votre parcours a-t-il créé la surprise dans votre Bande ?

Oui !! Personne ne pouvait penser que je resterai à l’Université aussi longtemps ! On a tous eu des parcours très différents. C’est génial car quand on revient ici, on est très homogènes car on a le background Millau, avec un amour de Millau et la région, et aussi des parcours très différents, et hétérogènes. Il y a de tout dans la bande !

Vos parents étaient des entrepreneurs de Millau, avec leur agence de voyages et leur circuit de bus cabriolets pour la visite du Viaduc. Y a-t-il eu le projet de suivre leurs traces ? Dans votre esprit ou dans le leur ?

Ca n’a jamais été poussé ni d’un côté, ni de l’autre. Moi, j’ai eu naturellement très vite l’envie de travailler dans le tourisme. Pour mes jobs d’été, j’étais serveur dans des bars ou hôtels, et j’adorais vraiment ça. Mais j’avais aussi envie de partir de Millau. Ce n’est pas forcément le métier, mais c’est plus l’envie de partir qui m’a amené à découvrir autre chose et du coup, à faire autre chose. Je n’aurais pas eu la chance de partir de Millau, c’est naturellement dans le tourisme que j’aurais travaillé. Cette voie-là me plaisait vraiment.

La question s’est-elle posée de s’exiler à l’étranger, comme le font beaucoup de chercheurs faute de moyens ?

En fait, dans ma discipline, on a énormément de moyens, qui viennent intégralement de nos contrats de recherche avec l’industrie. Mais la question de partir s’est posée. Là, il y a des balances de vie de famille, le fait de pouvoir revenir à Millau très régulièrement. On ne l’a pas encore fait. Nous avons fait des séjours réguliers à l’étranger. Et pourquoi pas y aller travailler ? Pas forcément pour obtenir des moyens directs pour sa recherche, mais plutôt pour découvrir d’autres cultures. En France, en plus du manque de moyens, il y a un poids de plus en plus lourd de l’administration qui prend un peu de pouvoir dans tous les processus. Et parfois, c’est décourageant pour nous, et pour nos étudiants.

Et ce pays, ce serait les Etats-Unis ? Ou le Canada ?

Certainement pas les Etats-Unis. Peut-être le Canada. Ou l’Australie. J’irai plus difficilement en Asie.

Quand vous revenez à Millau, la ville vous semble-t-elle avoir bien évolué ?

C’est difficile à dire. Je reviens dans un cercle très fermé, famille et amis. Je trouve que la ville est plutôt sympa à vivre, j’aime bien les aménagements faits récemment sur le bord du Tarn, on voit que ça évolue bien. Mais on sent que d’un point de vue professionnel, c’est plus dur, et pas forcément très dynamique à ce niveau-là. Toutefois parmi tous ceux de notre groupe qui ont quitté Millau, on aurait tous plaisir à revenir. En avançant en âge, on aurait plus envie de revenir. Alors, je ne sais pas où sera l’avenir ? Peut-être aux Etats-Unis, au Canada ou ailleurs, ou ce sera peut-être aussi en Aveyron. Sur d’autres projets. Plein de choses sont possibles. Mais ce ne sera pas professeur d’université à Millau !

Quels sont les projets à court terme pour les mois à venir ?

Ca va être d’essayer de s’en sortir avec ce virus ! Actuellement, on enseigne en distanciel, tous les doctorants doivent poursuivre leur thèse. On monte aussi de nouveaux projets dans le cadre du plan Relance, pour permettre aux industriels de plus innover dans le futur, pour plus d’agilité, de flexibilité. Pour les étudiants, la situation est dramatique. Au niveau financier, car beaucoup ont perdu leurs petits boulots ou les aides des parents. Une distribution de plateaux repas a été mise en place, les files d’attente sont très longues. La détresse psychologique est aussi énorme. Les étudiants se retrouvent seuls dans de tous petits appartements. Parfois, ils sont retournés dans les familles, et les ruptures numériques rendent difficile de suivre les cours. Je trouve ça très dur pour eux. Notre gouvernement a très peu de considérations pour la jeunesse. Cela m’énerve beaucoup !

Entretien réalisé par Odile Baudrier – photos : Gilles Bertrand

Thèse : Approche de métamodélisation pour la simulation et la vérification de modèle : application à l’ingénierie des procédés