ET BIEN DANSER MAINTENANT

Un 1er mai sans muguet, ce n’est pas un 1er mai, un 1er mai sans manif, sans pancarte CGT et l’Huma sous le bras, ce n’est pas un 1er mai, un 1er mai sans le souvenir de Georges Marchais, ce n’est pas un 1er mai, un 1er mai sous une flotte à grand rideau, ce n’est pas un 1er mai. Car pour un 1er mai, on a envie de mordre dans un printemps moelleux et savoureux comme une part de flanc. Sentir la pâte brisée craquer sous la dent, deviner le parfum de la vanille puis doucement sur la langue, sentir couler le caramel épais avant de mordre tendrement cette crème épaisse et légèrement vibrante.

Je suis arrivé à Micropolis sous une pluie couleur vinaigre blanc, jouant la rumba à grands fracas sur les vérandas de ces belles maisons s’étageant sur les coteaux de St-Léons, le château se devinant en contre bas, belle forteresse qui invite aux envolées romanesques.
Micropolis, il faut s’y rendre avec une âme de bambins, une épuisette à souvenirs sur l’épaule. Des sensations, des gratouillis, des mimines, des vols intrépides, de maudites piqûres parfois. Il faut avoir tenu un hanneton vous chatouillant le creux de la main ou se faire pincer le bout du doigt par une lucane. Il faut avoir admiré la mante religieuse se pavaner, fière et altière. Il faut avoir fait un vœu au décollage d’une coccinelle, légère comme de la dentelle. Il faut avoir admiré de loin l’apiculteur récolter le miel sous une nuée d’abeilles.

La Cité des Insectes ne se devine qu’au dernier moment. Posée là comme un ovni, une usine à trolls, un laboratoire dont on ne connaîtrait pas la nature des essais. Que sais-je ? Du béton froid, en deux cellules reliées par une rampe verdoyante grimpant sur la colline où les cigales dansent tout l’été.

En grimpant cet escalier, je me suis souvenu de cette mise en garde «attention, le directeur risque de te recevoir habillé en costume de mouche. Est-ce que tu sais qu’il a couru la Pouncho Chrono déguisé comme cela ?».

Bertrand Onfray, c’est le directeur de la Cité des Insectes depuis août 2018. Il me reçoit en corporate, petit gilet sans manches sur les épaules, du classique qui va bien à cet homme tout juste passé la cinquantaine, belle barbe nourrie qui lui donne un petit air à la Moustaki. Le costume de mouche est bien là, dans son bureau, mais appuyé le long d’un mur, les ailes déployées, dans l’attente de nouvelles envolées. Une tenue d’apparat qu’il ne renie pas «il faut pouvoir oser des choses. Si cela attire la sympathie. Oui, les mouches, c’est parfois embêtant, oui les insectes c’est un thème difficile, mais si on peut attraper les gens comme cela. Même ici en interne, un jour j’ai accueilli mes collaborateurs avec mon costume. Il faut se décomplexer ?!».

Bertrand Onfray est arrivé en Aveyron avec un sacré CV. Le contrôle de gestion, il connaît, aussi bien dans le privé, que dans l’associatif et dans le public. L’animation de grands pôles touristiques, il connaît après neuf années comme directeur adjoint au sein de l’agglo de Saint Nazaire et ses neuf pôles d’accueil, citons le sous marin Espadon, les paquebots, l’usine Airbus, le port, le musée…60 salariés sous sa coupe en équivalent temps plein et au registre des entrées comptabilisées 290 000 visiteurs à l’année. Alors pourquoi Saint-Léons la cité de l’illustre naturaliste Jean Henri Fabre et l’Aveyron ? Voici sa réponse : «J’avais envie d’une chose plus simple, d’un seul site à gérer, être en phase avec une équipe plus réduite et établir une bonne connexion avec les élus».

Au beau milieu d’une saison bien entamée, il prend quartier à la tête de cette vaste fourmilière, magnifique vivarium géant qui vingt ans après sa création n’a pas pris une ride. Il le martèle à sa façon, le verbe haut, le phrasé en lance rocket «c’est un site extraordinaire. Il n’y a nulle part en France l’équivalent. C’est une pépite. Franchement, il y a 20 ans, c’était innovant et aujourd’hui, c’est en phase avec nos problématiques actuelles». Mais comme dans tous constats, il y a des…mais…il poursuit «mais, il faut en être fier, il faut que le territoire s’empare du site. Il faut une vraie appropriation. On devrait être à 75 000 visiteurs. Il faut que l’on se retrousse les manches».

Bertrand Onfray n’était pas aveyronnais, mais il s’est vite intégré, dans son village d’accueil, La Cresse mais aussi dans le tissu économique et sportif millavois. Il affirme même «je suis Cressois». Il pourrait presque dire «je suis Millavois». Il n’est nullement entomologiste, mais il s’est vite intégré «il n’est pas primordial de connaître les insectes» insiste-t-il «j’ai appris à ne plus les détester et à mieux les apprécier. Quand on s’adresse à moi, je dois être capable de répondre. J’ai du m’aguerrir ». Pour cela, il navigue notamment sur les forums des entomologistes où les anti-spécistes infiltrés sont virulents. Il faut savoir faire face et croiser le fer si besoin avec diplomatie.

2020, ce devait être une année anniversaire. Pour l’heure, il n’est pas certain que Micropolis s’illumine de vingt bougies. Le directeur en est conscient « ce sera un Micropolis autrement, ce sera une année de renouvellement». Réfléchir à la notion de visite, de plaisir, de vulgarisation et de connaissance. Résoudre cette équation simple : créer une visite ludique, apprendre et regarder avec plaisir, passer tout simplement un bon moment, petits et grands, scolaires et même universitaires, sous cette voûte céleste qui impose de chuchoter, de toucher avec les yeux, royaume de la lenteur, des insectes en apesanteur. C’est découvrir la nature aussi petite soit-elle, pour mieux l’apprécier et admirer ces intrus velus, en escadrons autour de nos oreilles sans craindre le dard, sans jouer les éventails. Bertrand Onfray se voit, costume de mouche sur les épaules conter les fables de Jean La Fontaine, là haut sur la colline et son bal des insectes «ce serait l’homme qui explique l’insecte dans l’héritage de Jean Henri Fabre. Les gens ont besoin de ce contact humain».

J’étais rentré par l’entrée des artistes, je suis sorti par la porte du fond. En remontant cette avenue déserte, recroquevillé sous mon parapluie bienfaiteur, une bien drôle d’idée s’est faufilée dans mes pensées, me chatouillant le bout du nez. Pourquoi ne pas laisser rentrer l’intrus ? Pourquoi ne pas se laisser surprendre ? J’aime quand les idées viennent ainsi, parfois loufoques, libre sans menottes, l’esprit en rodéo, sans se saouler au tord boyaux. J’aime ces petits délires qui invitent au désir. Dans une urgence futile, comme pousser à dresser sur les bas côtés des barrages cloutés et se laisser happer par un grand courant, soudain, vif et captif.

Laisser moi vous raconter.
Très franchement, je me répète, le temps n’était pas à la rigolade. Pas le temps à faire pisser le cabot au risque de jouer les crapauds. Du gris de haut en bas, le pot de peinture vidé du sol au plafond. C’est venu comme un amuse-gueule qui ouvre l’appétit. Imaginez une grande scène installée au cœur de village, un grand décor tapissé d’herbes géantes, de parasols en tournesols, des ruches cathédrales, des termitières effilées comme des fusées. Sur cette scène, un maître de cérémonie, talons hauts, semelles compensées, pantalon et chemise de satin et cape au vent.

A ses pieds, groupés, ondulant, sautillant, reprenant en cœur «et bien dansez maintenant, et bien dansez maintenant..» des libellules, des coccinelles, des fourmis, des mante-religieuses, des doryphores, des scarabées, des abeilles, par centaines, une fourmilière humaine libérée de son cocon, dans un grand débarras de couleurs, dans un grand fracas de musique, des enturbannés, des peinturlurés, des carapacés, des grimés. J’ai pensé «comment pourrait-on appeler ce grand bal costumé, ce grand trail amusé ?….«Muze en Trail ???!!!»…Tiens, c’est pas mal !!!…Pour mettre en joue ce petit mot que j’adore, la Muze…qui rebondit, ricoche, claque, électrique et magnétique,

J’ai laissé grésiller le mot Muzzzze…comme une abeille qui tourne autour de vos oreilles. J’ai pensé, le maître de cérémonie ? Hummm…. !!! Bertrand Onfray ??? Hummm…Ne venait-il pas de m’avouer «aujourd’hui, je ne m’interdis rien».

Texte et photographies réalisés le 1 mai 2020 à Micropolis la cité des insectes, Saint-Léons au 46ème jour du confinement