emY GABRIAGUES et THEO COSTES, la génération etudiante sacrifiee

Les étudiants apparaissent comme les grands sacrifiés de la crise sanitaire, contraints à suivre leurs cours à distance depuis plusieurs mois. Un contexte difficile à supporter sur le plan scolaire mais aussi moralement par le manque de contacts qu’il provoque. Emy Gabriagues, en Chiropractie, et Théo Costes, à Sciences Po, originaires de Millau et inscrits à Toulouse, témoignent de cette situation complexe à surmonter à 19 ans seulement.

Dépression, et colère, l’état d’esprit des étudiants n’est pas au beau fixe. La situation dans les universités et écoles post-bacs ne n’est pas arrangée au fil des mois, et voilà près d’une année que la normalité de la vie étudiante s’est modifiée radicalement pour contraindre les jeunes à se contenter de cours distillés sur ordinateur.

Certes les méthodes se sont peaufinées, mais il reste toujours un immense sentiment de solitude pour ces jeunes adultes, isolés devant leur écran, en manque de contacts sociaux. Le fil twitter qui se distille sous « #etudiantsfantomes » révèle cet immense mal être de ces milliers de jeunes, confrontés à une situation souvent complexe aussi sur le plan financier.

Emy Gabriagues et Théo Costes ont passé leur bac ensemble au Lycée Jean Vigo en 2019 avant de se diriger tous les deux vers Toulouse, pour des études de chiropractie pour Emy et pour Sciences Po pour Théo Costes. Depuis dix mois, cette crise sanitaire a bouleversé leur quotidien. Mais malgré les difficultés, à aucun moment, elle et il n’ont envisagé de stopper leurs études, qui les passionnent.

Le premier confinement

Le premier confinement débuté en mars 2020 a marqué un coup d’arrêt à la normalité pour les étudiants universitaires.

Emy Gabriagues : L’année dernière a déjà été perturbée avec le premier confinement. A partir de mars, et jusqu’à fin mai, les cours ont eu lieu en visio et les examens à distance. En utilisant une plate-forme compliquée, il a fallu s’adapter. En juin, je suis retournée à l’école pour les cours pratiques, pour rattraper le retard et valider le semestre.

Théo Costes : J’étais en prépa à Albi pour le concours de l’Institut d’Etudes Politiques. Au confinement, le concours a été annulé. Cela a été une grosse source de stress, car j’avais fait 6 mois de révision, et j’ai craint de ne pas rentrer. Mais je suis rentré sans concours grâce à mon dossier du lycée. Je m’en suis bien sorti, mais j’ai plein de camarades qui avaient largement le niveau et qui ne sont pas rentrés car leurs dossiers lycée n’étaient pas assez solides. J’ai trouvé ça injuste.  

Une rentrée de septembre très fugitive

Les jeunes n’ont pas retrouvé très longtemps la vie étudiante et la normalité d’un enseignement classique. Très vite, les choses ont dégénéré pour les contraindre à suivre les cours, quasi exclusivement à distance.

Emy Gabriagues : A la rentrée de septembre, je suis repartie à Toulouse, mais nous n’avons eu que 15 jours de cours. A la suite de la journée d’intégration des 1ère années, il y a eu 20 cas positifs ! La direction a décidé de fermer l’établissement pendant deux semaines. Ensuite, l’école a réouverte, mais seulement pour 4 heures de cours pratiques par semaine, les mardis et mercredis. Mais l’année dernière, nous pouvions aller nous entraîner pour la palpation en salle de cours à volonté. Plusieurs clubs de palpations existaient avec des élèves plus anciens. Là, on ne peut pas s’entraîner, on n’a pas de table, et on ne peut pas le faire sur un lit ou un canapé. Du coup, on apprend plus lentement.

Théo Costes : A la rentrée, j’avais cours 1 semaine sur 2 en visio et 1 semaine en présentiel. C’était déjà pas mal. J’ai pu connaître mes profs et mes camarades de classe. Mais depuis les vacances de la Toussaint, c’est le distanciel intégral, pour les cours magistraux et les TD. Avec les annonces de la Ministre de jeudi dernier, il est prévu que les TD reprennent pour les 1ères années. Sciences Po va nous tenir au courant si cela est possible ou pas.

Le présentiel et le distanciel

Présentiel et distanciel sont devenus les maîtres mots des étudiants génération COVID. Deux termes inconnus il y a un an à une époque où la présence physique en cours s’imposait en norme. Mais les donnes ont changé, et ça valse selon les jours et les périodes.

Emy Gabriagues : En-dehors des cours pratiques, tous les cours se font à distance. On passe nos journées devant l’ordinateur, on voit le prof, il partage son écran pour qu’on puisse voir ses notes. Ce n’est vraiment pas facile de rester ainsi de 8 heures à 19 heures, au minimum 3 fois par semaine. Nos ordinateurs sont de petite taille, ils sont prévus pour un usage court, ils ne sont pas prévus pour une utilisation si longue. Du coup, on est mal installés, je souffre de migraines, de tensions dans le cou. Je trouve que ma concentration a beaucoup diminué, j’ai du mal à tenir plus d’une heure, et à partir de midi, c’est vraiment très difficile.

Théo Costes : Les cours magistraux se font sur l’écran, nous sommes environ 200 à les suivre. En général, c’est en direct, pas en replay. C’est bien car ça oblige à être à l’heure et à rester motivés. Quelques profs mettent des vidéos en différé, et font des séances de questions/réponses. Les TD se font en vidéo, le groupe est de 13 élèves, tous devant la caméra. C’est plus interactif. Les profs sont à notre écoute. Pour eux aussi, ce n’est pas très facile. Ils ne savent pas quelle méthode adopter. On est tout le temps en tension, car on est toujours tout seul, même entre deux cours. Certains mettent la trame du cours pour qu’on puisse le lire avant et qu’on puisse mieux participer.

Les programmes n’ont pas changé

Le travail exclusivement à distance crée un contexte de tension forte pour de jeunes adultes, mais pour autant, les programmes n’ont pas changé, et les méthodes d’évaluation non plus !

Emy Gabriagues : On participe beaucoup moins que dans un vrai cours. C’est plus compliqué d’interagir. On pose moins de questions, et le prof va très vite. Avec l’écran, on capte les choses avec plus de retard, mais le prof est déjà passé à autre chose. Cela reste un cours théorique où le prof se filme. Les programmes n’ont pas été allégés. Les matières demandent beaucoup d’attention. Nous avons au programme anatomie, neurophysiologie, physiologie, imagerie médicale. Pour ce cours, le prof passe une diapositive, mais on ne voit qu’un morceau. Ce n’est pas idéal !

Théo Costes : Les cours magistraux sont restés les mêmes, les modalités évaluation n’ont pas changé. Les partiels se font à distance, c’est plus dur. Pour rédiger les copies sur ordinateur, il a fallu se caler pour calculer le temps de rédaction. Mais surtout dans une salle de classe, tout le monde travaille, il y a une ambiance générale de travail. Là tout seul dans sa chambre, il faut se motiver !

Le confinement, arrêt complet de la vie étudiante

Le confinement total du mois de mars 2020 a marqué une rupture totale pour tous les Français, avec un stop brutal à une vie en construction pour tous les jeunes.

Emy Gabriagues : Après le bac, on est contents de partir de chez papa-maman, de prendre son autonomie. J’étais contente de voir autre chose, d’autres personnes, de savoir me gérer toute seule, de découvrir la vie étudiante, la fête, les bars. Mais ça n’a duré que six mois. Le temps de se faire des amis, j’ai commencé juste à sortir après les vacances de Noël et le confinement est arrivé ! Je n’ai pas eu les avantages de la vie étudiante. On commençait juste à se créer des habitudes, des activités, à se dire que la vie étudiante est sympa. Et ça s’est arrêté d’un seul coup…

Le confinement, rideau sur la campagne électorale

Théo Costes : J’étais candidat à l’élection municipale sur la liste de Christophe Saint Pierre. J’avais un gros rythme en prépa à Albi, et je revenais deux fois par semaine pendant la campagne. Le confinement a provoqué une rupture de rythme radical. Au début, c’était bizarre, et ensuite, je me suis adapté. Je continue à avoir un œil sur la politique locale, j’ai adoré la campagne électorale

Un quotidien difficile, entre solitude et dépression

La dépression s’invite trop souvent chez les jeunes adultes et la génération COVID subit avec cet isolement imposé une pression encore plus grande à supporter.

Emy Gabriagues : Les journées se ressemblent toutes. On ne sort pas. On reste la journée devant notre écran. Et on passe aussi du temps sur notre téléphone, c’est un moyen de nous détendre, de suivre ce qui se passe. Ce n‘est pas bon pour le sommeil ! J’ai tendance aussi à ne plus m’habiller, à rester en pyjama. Je trouve aussi difficile de toujours attendre des informations. Là, le couvre-feu est passé à 18 heures, l’école nous a dit être en attente d’informations du Gouvernement. Maintenant aussi, avec ce couvre-feu, on ne pourra même pas sortir faire un tour après les cours. Et puis je trouve injustice de voir que certaines personnes ne sont pas responsables. Elles ne veulent pas se priver, et même des personnes âgées ne respectent pas les règles. Comme une grand-mère qui a fait un réveillon avec 25 personnes. Moi, je me prive pour des gens qui font n’importe quoi !

Théo Costes : Beaucoup d’étudiants sont déprimés. Ils souffrent de la solitude. Il y a la déception de ne pas avoir une vie étudiante normale. C’est une grande différence par rapport à ce qu’on attendait. Beaucoup restent positifs. Moi, je suis heureux mais je préfèrerais être en présentiel. L’apport pédagogique est moindre. On n’est pas stimulés par le groupe pour étudier. J’ai beaucoup de copains qui en souffrent beaucoup et qui sont vraiment seuls. Ce n’est pas pareil d’être dans un grand centre urbain ou ici à Millau. Mais moi, j’adore Millau, l’Aveyron. On a de la chance de vivre ici, on a un cadre exceptionnel. Je m’entends très bien avec ma famille, mes parents, ma sœur, mes grands-parents. J’ai de la chance. Je suis seul pour les cours mais d’autres étudiants sont à Millau. Je ne suis pas isolé, je suis isolé d’étudiants qui font la même chose que moi. Je suis content d’être ici mais je suis un peu déçu pour mes études, elles sont de moins bonne qualité. Aussi on crée moins de relations. La première année est de 200 étudiants. Mais ceux qui n’ont pas fait de soirées clandestines ne se sont pas connus. Moi je connais que les 13 de ma classe. Ce n’est pas ce que j’attendais !

La révolte des oubliés du système

Les étudiant.es souffrent depuis des mois, mais leur révolte n’a pas été entendue jusqu’à très récemment. Sous la pression d’un mouvement lancé sur Twitter avec #etudiantsfantomes.

Emy Gabriagues : On est les oubliés du système ! Les lycées vont encore en cours. Nous, on a plus la capacité d’être autonomes, mais tout de même c’est une injustice. Il faudrait un retour à une vie sociale. On ne peut voir personne. Après les partiels, d’habitude, il y a une petite soirée, là rien. On ne décompresse pas, on ne fait que de travailler ! Il y a eu beaucoup d’interactions avec l’administration de l’école, surtout pour les aspects financiers. Les étudiants dépensent plus d’électricité, de chauffage, et certains n’ont que des petits forfaits pour accéder à internet. On a demandé à l’administration une clef 4 G pour tout le monde, mais cela a été refusé. Les horaires sont mal calculés aussi. On n’est pas entendus par l’administration. Les profs comprennent notre souffrance. Eux aussi souffrent de la situation, ils sont seuls, ils n’ont pas d’échanges avec les élèves. On est jeunes, on a envie de faire plein de choses, mais on est limités. Et il y a un ras le bol malgré notre patience !

Théo Costes : Il y a de la colère, mais on comprend. L’administration n’y est pour rien. La crise sanitaire dépasse même les dirigeants des Etats. Tout le monde en est conscient. Tout le monde demande l’ouverture totale des universités. Sciences Po est à notre écoute, chaque semaine, le délégué des élèves se réunit avec l’administration. J’ai vu que le « #etudiantsfantomes » a eu un écho impressionnant. Toute la classe politique s’en est emparée, de l’extrême gauche à extrême droite, sauf la majorité ! Cela a permis de faire bouger les choses pour que la Ministre annonce le retour en cours 1 semaine sur 2 pour les premières années. En début d’année, nous avions cours dans des amphis immense, nous n’étions que 100 et nous pouvions être 2 par banc. Oui, le virus a circulé a circulé, car il y avait des soirées. Mais dès qu’on a reçu un message de Sciences Po disant que le virus circule et qu’il faut arrêter de vous voir, les soirées se sont arrêtées directement. En même temps, on arrive tout seul dans une ville, on a envie de rencontrer des gens. Il s’y ajoute le changement de méthode, du lycée à l’université. Et à peine adaptés, on leur a dit qu’on passe en visio. C’est dur !

Entretiens réalisés par Odile BAUDRIER

Portraits réalisés par GILLES BERTRAND