TEMPLIERS 2020, 365 JOURS, CE FUT LONG !

Annulés en 2019, les Templiers 2020 ont ressuscité sous une forme Liberty. Des parcours en libre service et 400 coureurs en pèlerinage présents l’instant d’un week-end pour savourer le silence et la beauté sauvage des Grands Causses. 

ACTE 1 : Trombone, bluetooth, à Lafolie….

Dimanche 18 octobre, 4h45. Une petite voiture, l’une des premières à se garer dans la nuit noire. Lumière rase motte, les nerfs en pelote. La portière s’est ouverte, Amandine a déplié ses gambettes, en jupette, les genoux en bandelettes pour se figer droite comme un piquet.

A l’arrière de la caisse, deux lévriers, un minus, un géant, tous les deux racés et fuselés. Derniers baisers, saluts mes bébés.

Puis Amandine s’est dirigée vers la route. Lumière jaune orangée, trottoirs luisants, chaussée obsidienne. Au coin du pré à l’herbe gelée, elle s’est figée, ses bâtons plaqués comme une arme de protection. Deux longues minutes dans l’obscurité, dans la solitude des lieux. Au loin quelques regards curieux. Devant elle, une petite enceinte bluetooth, deux fumigènes plantés dans le sol, un jeune homme lui aussi droit comme un curé, prêt à dégoupiller, la musique ERA prête à dégainer.

Ameno a jailli, les flammes ont jailli, Amandine noyée dans un rouge carmin, toujours immobile, impassible. Quelques secondes émotionnelles, à savourer profondément, instant d’éternité, secondes à s’enivrer.

Amandine s’en est allée, au loin plus qu’une minuscule silhouette. Le rouge dilué dans le noir. J’ai demandé son nom, le jeune homme m’a répondu «Amandine Lafolie». J’ai répondu « non, vous me blaguez !!??? ».

Je me retourne, une camionnette se gare. Trois pétroleuses en avionneuses en sortent, la mine gaillarde, rigolarde. Chaussées d’escarpins, elles ajustent calots et jupettes rouges. L’une se charge d’un trombone rutilant, ses joues se gonflent, sa voisine pince ses lèvres sur l’embout de sa trompette…« on nous a dits « y’a un truc pirate qui se passe, on est venues ». J’ai pensé « c’est quoi ce délire ? C’est quoi ce départ des Templiers ?…Dans mon coin, j’ai savouré !

ACTE 2 : Bouts de ficelle et bleus à l’âme…

Le Pompidou, 14h30. Les Templiers sans radio, sans message. Sans PC, sans carte, sans fiche horaire, sans toubib. Sans déroulé de course, sans main courante, sans tête de course, sans serre-file, sans vigie. Sans rien savoir de ce qui se passe. Sans doute des petites misères, de brèves colères contre soi-même, le début des galères. Le téléphone en berne, les Templiers en vase clos pour oublier tous les complots. Pas de barrières horaires, c’est du bonheur, personne ne sera à l’heure et alors !!!

Au Pompidou, coûte que coûte faut passer la Clapade, sa ruine, son four à pain puis sa falaise couleur croûte de pain, puis atteindre Mas de Bru et enfin basculer dans la vallée. Le reste, c’est du déjà vu, c’est du connu. Ca fait mal, on n’est plus en cavale, Millau en contre–bas, c’est Port-Royal.

Devant moi, des valeureux, des bien heureux. Des silencieuses, des contemplatives, douces plaintives. Au compte goutte, comme un alcool fort à faire rouler dans la bouche, à balayer les gencives, joue droite puis joue gauche. Un Templiers contemplatif, en vadrouille, en patrouille pour suivre ces bouts de ficelle, ficelle bleu, bleu de chauffe, chauffe moi le cœur, cœur en joie, joie paisible pour profiter de cet espace d’exception. Assis le cul dans l’herbe craquante, le soleil dans les mirettes et puis entendre au loin le bruit amorti d’un pas assagi. Se dire bonjour, un signe de la main, dire banalement « profitez bien », c’est juste une évidence. Ils et elles ont bu dans des chiottes de campagne. Ils et elles ont mangé un bout ici et là, sur un vieux banc, un vieux muret qui gratte les fesses, à la dure, comme autrefois, le paysan en transhumance. Les Templiers sans sa belle robe, sans apparence, mis à nu, dépouillés, presque dépenaillés. Mais qu’importe les oripeaux, aujourd’hui, on ne fait pas le beau, on se fait juste du bien.

16h, on dégage, reprendre le fil bleu. Pour oublier les bleus à l’âme, les engueulades à la préfecture, les menaces, les annulations en cascade, les coups de fil qui réchauffent mais qui n’arrivent jamais. Petite dévalade dans le ravin de Laumet. Le Causse cabossé, érodé, mal luné, mal sapé, carrément fracassé. A droite du rocher troué, des arbres pétrifiés, sculptures élancées, totems à caresser, à lire des poèmes, à se dire des «je t’aime». Sous mes pieds, cette profonde vallée, la Dourbie qui se fait la malle aux abords de la Boffi.

A l’écart du chemin sur mon promontoire, je surprends les conversations, les souffles courts, les phrases sans fin. 17h, je me sauve. Belle traversée dans les herbes sèches de la grande plaine du Pompidou, un troupeau bêlant qui vous lèche les chevilles. Cap sur Mas de Bru. Là-bas, c’est dimanche à la campagne. Un bonjour au fermier, de sa voix douce, il dit «je suis né ici. J’ai juste migré de cinquante mètres.» L’an passé, nous évoquions la présence du loup. Il m’affirmait «moi, j’aime bien les coureurs. Si ça peut faire fuir le loup et le repousser loin de chez nous». Message reçu !

Sous les grands marronniers, ya pas de nappe étalée. Qu’importe, les mecs s’affalent le cul sur l’herbe encore fraîche. Pour se tripoter les pieds, pour avaler une soupe rapido aux poireaux. Je retrouve Jean Claude, Alain coiffé de son béret basque et Jacques de son bonnet rouge sans oublier les deux jeunots, Jeff et Arnaud, casquettes Aubrac sur le crâne. Ils l’ont tous dit « on est bien là, ça nous a sauvés d’un dimanche devant la télé». Ca rigole, ça blague, ça papote. Ca refait l’histoire, la petite histoire des gens qui s’engagent, qui ne sont pas dans la rhétorique, dans la posture, dans la convenance, dans les apparences. Anonymes, les pieds dans le gras de la vie, dans le vif du quotidien. On glisse sur le « bon vieux temps» pour se souvenir que le premier Endurance Trail, ce n’est pas si vieux et on y était.

La nuit approche, dernières ombres pensantes, premières et vraies grosses douleurs. Je fredonne «elle est comment ta peine». Faire preuve de sagesse. On est ici de son plein gré, faut pas oublier, faut assumer. Y’a pas d’enjeu, c’est juste un jeu entre le moi et le soi-même. 20h, c’est nuit noire, Mas de Bru plonge dans le silence. Usain Bolt, c’est le nom du chien, gueule une dernière fois lorsque je referme le lourd portail. Je lui glisse «à l’an prochain ou à demain».

ACTE 3 : “Bolinga, ya motema”

Pour ne pas aveugler, je suis arrivé phares éteints…sur l’aire d’arrivée des Templiers. Petit blasphème, piétiner ainsi l’aire sacrée, sans arche, sans totems géants posés comme des tours de Babel. Sans cette musique qui enveloppe Millau, du Justin Bieber, du Adele, du Getta que sais-je encore de la pop bling, boum, de la techno plein pot, du Katy Perry sans son «Last Friday Night» sur lequel nous nous sommes tant lâchés. Une fin de Templiers sans quitter la veste, sans son titre fétiche lancé par Cyril le DJ, quitus pour enfin se délivrer comme en son temps, dans les gargotes de Kinshasa, l’enflammée, la déglinguée, à boire de la Primus et roucouler, onduler sur du Langa Langa Star « Bolingo ya motema » à jamais….

Il est 22 heures. Ce soir, pas de champagne non plus. Bien perché, je n’embrasserai pas le crane de mon vieux pote Chauchau après avoir célébré le dernier des chevaliers consacré Templiers. Rien de tel. Devant nous, quelques frontales, de grands chênes séculaires et ombres géantes, des corps courbés, frigorifiés, des accompagnatrices réalisant quelques pas de deux pour se réchauffer, des ados piaffant d’une semelle sur l’autre. Au-dessus de nous, une voûte céleste miraculeuse, ciel étoilé, scintillant, étincelant de pureté.

Les Templiers s’étirent ainsi dans le calme d’une nuit fraîche, piquante, presque revigorante. Franchement quelle journée aux coutures cousues de ficelle bleue ! A saluer ainsi chaque coureur et voir les sourires mûrir sur des visages empourprés, prendre le dessus sur les grosses douleurs. Pas de gueulantes sur les barrières horaires. Juger la fatigue des uns, des unes et des suivants au débouché de cette ruelle dans le hameau de Mas de Bru, un vieux réflexe dont on ne se sépare pas. Sur le coup de midi, en plein pique-nique à Pierrefiche, la question m’était posée «mais ça veut dire quoi Mas de Bru, est-ce la maison de l’épouse du fils ?». Pour en savoir plus, je passai donc un coup de fil à Renaud Maillet l’éleveur du hameau. Sa réponse «Fin 1800, le village s’appelait Percegol, ça veut dire pêcher de vigne. Puis le village a changé de nom. Mais je n’en sais pas plus. Dans les registres, il n’y a aucune information. Je peux juste dire que le hameau fut longtemps habité par les mineurs de Mas Nau et que souvent nous avons des descendants qui arrivent ici en quête de leurs racines». Au pied de sa ferme, un figuier a pris symboliquement place. Sur l’arbre, les fruits ont tourné au violet, la chair s’est durcie comme des coquilles de noix par manque de chaleur pour mûrir. A deux pas, dans une cave voûtée, le paysan charge la chaudière d’un bois sec. L’hiver est presque là.

22h30, 22h45…Je ne sais plus très bien, le temps n’a guère d’importance. Arrive enfin un groupe de cinq, les épouses sont sur le pied de guerre, l’une cherche ERA sur son téléphone, l’autre tend les deux bras, le téléphone au bout des doigts. La seule femme du quintet lève les bras au ciel, ses bâtons bien droits comme pour électriser la voûte céleste. Ses compagnons l’enlacent, petites et grosses larmes sucrées, salées. Chapeau, seul gros lot et quel beau cadeau ! Autour d’elle, il y a Sylvain et Gérald. Sylvain dossard 741 Templiers 2019, Gérald dossard 766 Templiers 2019. Comme un vieux parchemin pour conjurer le sort, pour ouvrir la porte des Grands Causses verrouillée méchamment un an de cela ? Gérald de dire «là maintenant, je peux enfin le mettre mon blouson finisher. J’y ai droit». L’épouse de Sylvain trahissant un secret «pendant un an, son maillot avec son dossard accroché est resté étalé, sur une malle». Pour se dire, chaque matin au lever en posant un pied sur le parquet «Les Templiers, je vais me les faire». J’ai juste envie de dire «c’est bon la fidélité». 365 jours, ce fut long, terriblement long.

Publications similaires