JE SUIS NE DANS LA RUE

David Libourel plus connu sous le pseudo de DAF est l’un des illustrateurs attitrés de la presse locale dans le Sud Aveyron. Mais il est également connu comme caricaturiste formé aux Beaux Arts de Perpignan puis à l’école de la rue. Portrait.

Dans une maison, dans un appartement, la pièce de vie que je préfère, c’est la cuisine. Pour les odeurs, le premier café du petit matin, les portes closes, les vitres closes, les yeux mi-clos comme un vieux crapaud. Les odeurs d’épices pour des repas nomades, métissés, épicés, le clou de girofle mon préféré, la noix de muscade en pluie finement râpée.   

La cuisine, je l’aime pour son foutoir ordonné, pour ses piles de papiers mal rangés, pour son petit bouquet de fleurs aux pétales vite froissés, ratatinés, pour le bout de pain jamais posé au bon endroit…ah quelle saloperie ces miettes…!!! Pour son petit poste de radio, le vieux Radiola diffusant les premières infos de la matinale de France Inter, celle d’une France en constante convalescence, en crise de conscience..

La cuisine, je m’y sens bien pour ses silences, pour le verre de rosé qui dissipe les nausées, les fins de soirées seul à chercher le trou de souris pour faire glisser et enfiler les mots. Et puis creuvé, s’échapper sans oublier de tapoter bêtement sur la vitre bombée du baromètre, à voir cette petite flèche osciller, poussée par je ne sais quel vent et prendre le chemin de la dépression.

La cuisine, c’est la pièce des bonnes résolutions, des p’tites et grandes engueulades, du beurre qui fond trop vite dans la casserole, du téléphone qui sonne toujours au mauvais moment. mais aussi des tiroirs mal rangés, de l’évier toujours à récurer…quelle corvée !!!! Des petits mots collés au milieu de photos instantanées…comme sur le frigo de DAF, comme ce message sur papier blanc avec ces mots notés «gendarme de St-Tropez, 16h30, faire une mascotte ».

J’étais donc assis dans la cuisine de DAF, alias David Libourel, dans ce petit carré carrelé d’un F4 plein à craquer de toiles, de croûtes, de dessins, de modelages, empilages de caricatures, des pages et des pages d’écritures , des mascottes,  des piles de vieux journaux, de l’info vite périmée d’un quotidien déprimé, la crise se fracassant dans le pare-brise.

Inversion des rôles, j’étais donc là dans cette cuisine de 9 mètres carrés à croquer celui dont le métier est de décortiquer, triturer, étirer, éplucher la bonne bouille d’autrui. Celui qui joue avec votre belle gueule, avec vos petits et gros défauts, celui qui vous croque de son crayon ravageur et baladeur avec gourmandise sur le blanc d’un beau velin. DAF le caricaturiste face à moi, un verre d’eau chacun sous notre nez comme un verre de gris servi au comptoir du bar du Midi. L’homme va vers ses 50 ans, le 1er décembre prochain, il parle d’une voix profonde, il plisse les yeux, il se courbe, bien campé sur ses avants bras «ce métier conserve jeune, on reste ado, mes aînés sont restés de grands enfants même si nous gardons un regard d’adulte».

Au-dessus de nos épaules, accrochée au mur, encadrée, l’affiche du film Marius réalisé par Dubout. Nous levons le nez tous les deux sur cette affiche. Ainsi débutait cet entretien décousu, écrit à la pointe d’un crayon gris «Je suis fan d’un humour qui tord les boyaux. J’aime les comédies italiennes, j’aime également les films de Robert Guédiguian même si parfois les comédies naissent de la tragédie. Je suis donc fan de Pagnol et Dubout fut le dessinateur attitré de Pagnol mais également de Brassens, du Front Populaire, de Frédéric Dard. Chaque année, je vais à la redoute de Ballestras près de Palavas. C’est un château dans lequel est exposée l’œuvre d’Albert Dubout. Je savoure son travail comme un gâteau sucré. C’est un peu bastringue son travail, d’ailleurs lui-même se représente avec la tête coupée en deux ».

. Peut-on parler de rituel ?

Oui, c’est comme d’écouter la musique du film «Les vacances de Monsieur  Hulot», en début de saison. Cette musique m’aide à rentrer dans cette période estivale faite de légèreté, de soleil.

. Dans notre bonne ville de Millau et plus largement dans le Sud-Aveyron, tu es connu comme caricaturiste. Comment débute une telle aventure ?

Je suis un gamin né en 70. A cette époque, quotidiennement était diffusée l’émission de Dorothée. Elle invitait de grands dessinateurs comme Cabu, c’était un maître. On le voyait dessiner  en direct, c’était un magicien. J’avais également mon oncle Didier, lui, il était influencé par Hara Kiri. Il dessinait des pin-up alors que mon père Michel, lui dessinait des 2 CV car on avait dans la famille une 2CV. Et je me souviens, sur la plage, il sculptait même des voitures dans le sable. On était déjà dans le volume, la matière.

. Mais il y a mille façons de s’exprimer dans la peinture, dans le dessin, dans le graph, pourquoi prendre la voie de la caricature ?

A cette époque, nous allions en vacances à la mer. C’était la belle époque car tous les soirs, il y avait une flopée de caricaturistes, c’était même mieux qu’à Montmartre. Je me mettais dans leur dos, il y avait des taiseux, des grandes gueules et j’apprenais le métier sans le savoir. Et quand je revenais, j’essayais de faire la même chose avec les bouts de crayons qu’ils me donnaient.

. Ce goût pour le dessin, comment était-il apprécié par tes parents ?

J’étais un élève moyen, je n’ai pas passé le BAC car j’étais pénalisé par les maths. Je me souviens devant le conseiller d’orientation qui ne connaissait rien aux métiers artistiques, je lui avais dit que j’aimais bien manger. Alors, on m’a conseillé le lycée section cuisine. Mes parents m’ont payé mes premiers cours de dessin chez Rémi Bailleul tous les vendredis dans la rue Balitrand. J’y allais directement en sortant du collège où les profs n’étaient pas autre chose que des gardes chiourmes. Puis j’ai redoublé ma troisième à Rodez en section CAP sculpteur sur bois où là, j’ai eu mon premier vrai professeur de dessin, Philippe Gentil, un prof avec du caractère, aux côtés des frères Kosmalski et David Lacan qui, tous les trois, sont devenus des sculpteurs. Puis je suis rentré aux Beaux Arts de Perpignan.

. Un cheminement conduisant à un métier artistique se met en place mais pour autant quel est le grand déclic pour devenir caricaturiste qui n’était peut-être pas considéré comme un art majeur ?

Je pense que j’ai eu une bonne étoile au-dessus de ma tête. A 8 km de Perpignan, il y a St-Estève  où se déroule le Festival de la Caricature. Et là, quand je rentre dans ce Festival pour la première fois, j’ai le sentiment de rentrer dans un monde d’où je ne sortirai pas de sitôt. Nous étions une dizaine d’étudiants intéressés par le genre et parfois, nous séchions les cours pour voir les dessinateurs dessiner devant nous. C’est là, pendant 6 ans que j’ai rencontré François Sollo, Piem, Nicolaz mais également Jean Mulatier, Morschoisne et Jordi, le caricaturiste de l’Indépendant.  St-Estève, c’est une aventure qui me propulse.

L’entretien s’interrompt quelques instants. DAF se lève, l’interphone grésille. Je lève les yeux, dans l’entrée de ce petit appartement, pile dans mon champ de vision, un dessin retient mon attention, une bouille aux traits d’une belle finesse mais rondement accentués, les sourcils en V, la moustache affûtée, effilée, deux petits yeux pétillants, un Gaston Doumergue croqué par Raoul Cabrol, l’enfant du pays né à Curlande près de Bozouls. Il fut le grand caricaturiste du Canard Enchaîné des années 40 puis de Combat à sa création.  DAF raconte «les dessins de Cabrol sont d’une telle puissance» comme cette caricature d’Hitler qui lui vaudra d’être recherché par la Gestapo l’obligeant à fuir pour se réfugier à Rodez où il intègre la Résistance.

L’interruption est brève, l’entretien reprend par cette question : «Tout laisse à penser que tu te destines à devenir caricaturiste  mais comment débutes-tu le crayon à la main et le carnet sur les genoux ? Sa réponse nous ramène en Catalogne mais cette fois côté espagnol, il raconte «j’ai fait ma première saison en Espagne en 1988, à Escale. Je circulais au pied des terrasses et je caricaturais jusqu’à parfois deux heures du matin. Je gagnais en deux semaines autant qu’en saison à ramasser des fruits. Mais avant cela, j’étais encore aux Beaux Arts, tous les étés, nous étions un groupe d’étudiants,  on allait dessiner tous les soirs dans la rue, dans les bistrots, on accostait les clients et on était potes avec les musicos. Johnny  chante « je suis né dans la rue », mais moi aussi, je suis né dans la rue.

. Comme beaucoup de dessinateurs de presse signes-tu à cette époque d’un pseudo ?

Oui, mon premier pseudo fut Baibe que j’ai traîné de longues années pour ensuite prendre celui de DAF

. Comme Baibe ou DAF, comment t’affirmes-tu dans un milieu si particulier ?

Je suis avant tout un dessinateur humoristique. J’essaie de faire rire même si la situation n’est pas toujours drôle. Je me définis également comme dessinateur local et j’ai plaisir à travailler avec la presse locale. On gratte notre territoire.

. Le poil à gratter local en somme ?

Oui (il savoure)

. On te connaît surtout pour tes dessins publiés dans Midi Libre, peux-tu raconter comment as-tu franchi cette porte ?

Je le dois à Louis Lafabrié. On l’appelait Loulou mais moi, je lui disais Monsieur. François Sellier, qui était le photographe de l’agence, m’avait sorti de son labo des photos de Deruy, Esperce, Godfrain, Durand, je précise un Durand qui avait encore des cheveux et une moustache noire. Tous les mois, Louis me demandait une caricature. Et mon premier dessin fut celui sur Philippe Berger en 1994, il était le sous-préfet de l’époque. Aujourd’hui, je crois que j’en suis à mon huitième chef d’agence. Il y a eu Gérard Lodinas, ce fut un moment phare. Un jour il me dit « on va tenter un dessin par semaine mais fais gaffe, tu ne fais pas dans le Charlie Hebdo. » Il fallait comprendre la ligne de Midi Libre. Il y a eu également Arnaud Boucommont. Lui, il me disait « il faut que tes dessins piquent plus. Il commentait « là, tu piques, là tu descends ».

. N’était-ce pas l’époque José Bové ?

Oui, celle du démontage du Mac Do et je fais le parallèle avec le local et l’international. Bové, c’est une gueule, c’est le Gaulois. Il m’a décrassé les yeux pour produire des dessins avec plus de consistance. A titre personnel, il m’a ouvert les yeux, maintenant, je me préoccupe plus de ce que je mange dans mon assiette.

L’heure tourne, c’est à peine si nous avons touché à nos verres d’eau qui ont chauffé. Nous nous levons, direction l’atelier, son bastringue avec au centre une grande table où des dessins de presse prennent la pose, revue de presse locale improvisée. Il faut se glisser avec prudence, pas même une otarie trouverait à se glisser entre cartons à dessins, étagères, moulages, ordinateur et chevalet. Le prof de dessin qu’il est également au Vieux Moulin recruté par Aimé Loubié navigue dans cette petite chambre reconvertie comme un chat sauvage à l’affût. Tout y est archivé, toutes les multiples collaborations de VO2 Magazine à sa grande époque au Journal de Millau, aux dessins réalisés lors du Mondial de Pétanque, il raconte «Damien Mas, lui aussi m’a fait confiance. Mais il n’aimait pas lorsque je dessinais les pétanqueurs avec la glacière et un gros ventre. Il en riait mais il n’aimait pas ».  

Quelle cavalcade ce début d’année 2020, du grinçant, du vivant, de l’ébouriffant pour les illustrateurs de presse, le coronavirus invité sans toquer dans les chaumières comme autrefois le typhus, puis le confinement « il fallait mettre un peu de légèreté. On répondait du tac au tac. Un coup sur Véran, un coup sur Philippe, un coup sur Raoult». Puis les élections où DAF prend position contre l’hôpital médian, il ne s’en cache pas «je suis également un grand défenseur du rail » et pour renforcer le trait du personnage engagé « je suis farouchement opposé au compteur Linky. Dans l’immeuble, je suis le seul à avoir refusé ».  Quant au duel Saint-Pierre – Gazel, comment DAF l’a-t-il fait valser, lui le dessinateur de la mascotte du carnaval de Millau depuis 22 ans «les transitions sont toujours intéressantes car un bord va toujours accuser l’autre d’avoir vidé les caisses. Je garde toujours les professions de foi et les chartes éthiques. Il faut se replonger dans le passé que je lis et relis pour être dans le présent. Quant à Gazel, c’est historique. Pour l’instant, je me rode avec son visage. Les traits vont s’affirmer». 

Une question s’intercale dans cette discussion désormais à bâtons rompus : «tu parles du visage d’Emmanuelle Gazel mais peut-on encore faire évoluer son coup de crayon, sa technique pour mieux faire ressortir les traits de chacun, chacune ? ». Sa réponse «mon graphisme évolue mais pas autant que je le voudrais. Je suis encore un peu doucâtre. J’aimerais être plus réactif. Je ne veux pas tirer des gifles car avant d’être dessinateur, je suis avant tout citoyen». Interrogé sur ses sources d’inspiration actuelles au niveau du style, il cite Kiro, Coco et Mougey, l’illustrateur de Charlie Hebdo puis du Canard connu pour sa moulinette dévastatrice lorsqu’il s’agit de caricaturer les islamistes de Daech.

Il est 17h30, je laisse DAF se préparer. Ce soir, il rentre en scène dans le cadre des marchés de pays de la ville de Millau avec ce petit pincement, cette petite boule qui joue le yoyo, c’est à lui de jouer. Il s’auto-analyse ainsi  «avec le dessin, je me sens moins transparent. Lorsque tu dessines, tu prends de la confiance, tu es différent. C’est un moyen d’exister. Lorsque je suis entouré de gens, ça me porte. J’arrive à vaincre ma timidité de cette façon. C’est le crayon qui me donne des ailes, c’est ma baguette magique. Caricaturer, c’est amplifier comme un miroir déformant. Il y a parfois des soirs de grâce et là, c’est le crayon qui me guide».